vendredi 7 mars 2008

Pratiques

Soirées gadgets, masseurs prostatiques et films à thèmes
Au grand bazar de l'érotisme
Le sexe est un plaisir, c'est aussi une industrie. Nos reporters ont fait le tour des dernières innovations de plus en plus désinhibées

Les grands moralistes s'en offusquent parfois : de nos jours, on vend du sexe comme on vend des yaourts. La remarque est idiote, une rapide enquête le prouve : pour vendre du sexe, le marché a des capacités d'imagination bien supérieures à celles de n'importe quel département de marketing de l'agroalimentaire. Tout le monde Fa noté : l'érotisme est partout, de façon plus ouverte et plus décomplexée que jadis. On fera sourire bientôt en racontant que, il n'y a pas quinze ans, pour vendre des vibromasseurs, les catalogues de VPC s'obligeaient à coller au-dessus de l'objet des photos de jolies dames se le passant sur les joues : il s'agissait de faire croire que cela servait à raffermir la peau du visage. A l'heure du porno fait maison et balancé à la terre entière sur internet, à l'époque des pages sex-toys dans les magazines féminins, le sex-shop de papa ressemble à une épicerie de village. Seulement, il en va de ce grand marché comme de tous les autres : pour en accroître toujours plus l'étendue et les bénéfices, il faut sans cesse inventer, lancer de nouveaux produits, défricher de nouveaux espaces et lancer de nouvelles tendances qui n'ont pour but que de rendre indispensable au consommateur ce dont il se passait parfaitement depuis des siècles. C'est à une visite des dernières nouveautés de ce grand bazar mondial que nous vous convions.
Niches sur DVD
Petit porno bricolé maison devant sa webcam, sites de X gratuits, piratage généralisé : de nos jours, la concurrence est rude. Comme tant d'autres domaines - la presse, le disque -, l'industrie du porno se sent décliner et cherche des parades. L'une émerge à peine : le film à gros budget. Les studios gays Raging Stallion sortent «Grunts», vendu en coffret de 6 DVD, ce qui en fait une espèce d'épopée wagnérienne (en plus facile d'accès). Et Marc Dorcel annonce, pour avril, «Casino No Limits», avec yachts, rollex, gardes du corps sur fond de Riviera, un authentique porno bling-bling en quelque sorte, à 300 000 euros, somme en effet difficile à atteindre par l'amateur moyen.
En attendant ce moment choc, le X poursuit son chemin en suivant son autre pente : les niches. On ne parle pas de spécialités avec animaux, mais de marketing. Ca n'est pas neuf, les initiés connaissent depuis longtemps les films «sket» (pour fétichisme des chaussures de sport), «caviar» (nom délicat de la scatologie) ou «infirmière lubrique» (un classique). Mais le marché s'étend constamment. «En ce moment, dans les sex-shops, on demande beaucoup de films de carnaval», nous affirme Pierre Cavalier, du magazine «Hot Vidéo», éminent spécialiste. «Des films de carnaval, avec des gens qui baisent déguisés ? demande-t-on naïvement. - Ah non ! Ils sont déguisés mais ils ne baisent pas forcément.» C'est dire jusqu'où on va dans l'inimaginable. La même tendance existe chez les gays, confirme Didier Lestrade, autre spécialiste, qui suit ces questions pour le grand magazine homo «Têtu», mais on retrouve surtout des masques d'animaux. Autre grand succès chez les hétéros, selon le patron des magasins Concorde, hypermarchés du sexe, le film «jeune-vieille» - entendez le film dans lequel les acteurs ont 25 ans tout court et les actrices trente ans de plus, au bas mot. Le fait est avéré par le nombre de titres disponibles, mais on a du mal à lui trouver une explication : explosion médiatique de sexygénaires, comme Tina Turner ? Recherche de la mère ? Ou simplement, selon Pierre Cavalier, fixation sur un souvenir d'enfance troublant, genre «en vacances, je fantasmais sur la fermière» ? Chez les gays, outre l'explosion du film dît «ethnique», le film turc, le film beur, le film prolo-anglais-qui-boit-de-la-bière, notons la percée d'une sous-catégorie : le trader en costume. On doute que cela ait un rapport avec la récente crise boursière, mais ça aidera peut-être à des reconversions.
« Des bombasses, pas des chiennes »
Pour plus de frissons, rendons-nous donc au Pink Paradise, en fin d'après midi, juste après le bureau : c'est l'heure du cours de pôle dance, ces acrobaties érotiques autour d'une barre, jusque-là réservées aux stripteaseuses professionnelles. Depuis leur lancement fin 2006, ces leçons aimantent les femmes de 20 à 50 ans. Elles sont étudiantes, hôtesses de l'air, inspectrices des impôts, urgentistes. Toutes veulent s'offrir les paillettes, la métamorphose en vamps des podiums. Et la surprise en chambre devant Roméo ébahi. Maud, comédienne de 21 ans, vient se désinhiber; Nathalie, cadre de 35 ans, veut épater son ami; Sophie, 38 ans, assistante, se défouler : «Jene m'en vante pas au travail», dit-elle. La transgression ajoute de l'adrénaline. «Elles sont plus next door girl que bimbo, anglicise Muratt Atik, le patron. On leur apprend à allumer.»Tout s'y prête : la moquette rose léopard, les bougies rouges, les lustres simili vénitiens, les murs tapissés de miroirs. Un univers kitsch où les tigresses se révèlent. Ici, la pose féline est un must. Au centre, Liana, coach du soir, enchaîne les mouvements. Les formes ondulent, les corps se déhanchent, les croupes se cambrent. Torrides contorsions. Les plus assidues se sont prises au jeu : elles ont investi dans des plates-formes, ces chaussures de professionnelles du sexe, 5 centimètres de patin devant et 15 de talons aiguilles. Un look de call-girl assuré. A la barre, elles sont parées pour échauffer leurs sens et affûter leurs charmes. «Par rapport à du fitness, elles travaillent leur libido, souligne le patron. Et deviennent des bombasses, pas des chiennes.» Subtile nuance, chéri.
Soirées tuppergodes
Restent les gadgets. Déclinée sur le mode «godes save the queens», cette révolution-là vient aussi d'outre-Manche. A ce rayon, les princesses françaises, elles, retardent. «A Londres, dit Anne-Charlotte, 31 ans, pro du colifichet, on passe de Zara àAnn Summers, reine du sex-toy. Ici, c'est encore tabou.» Pour banaliser les jouets erotiques, elle a créé Soft et les vend à domicile. Ses réunions «tuppergodes» font fureur. Ce soir-là, une dizaine d'étudiantes participent. Sur la table : boa rose, dive bouteille et biscuits. Audrey, 20 ans, est venue «par curiosité» avec son amie Sarah, 21 ans, désireuse d'«épicersa vie sexuelle». Les préliminaires sont badins : huiles de massage comestibles, talc et plumeau, stylo au chocolat pour butiner sa proie. Le ton s'échauffe avec les lubrifiants : «Ca sent le monoï, lâche Audrey. Faut pas se tromper sur la plage.» Avaler une lampée de vin. C'est au tour des «petits objets à moteur». Une sélection fine parmi 120 engins du catalogue. Premier du lot : le rouge à lèvres, un modèle avec vibreur, doté d'«un point très précis», pour onanistes clitoridiennes. Vous reprendrez bien un verre, ma chère. De bruyantes onomatopées saluent l'irruption de Mini Paul. Siliconé de frais, disponible en bleu ou en rose, potelé, tête recroquevillée, ce polisson est toujours à l'affût du point G. «Intéressant», dît en sifflant Audrey, qui traque le sien en vain. «Toutes les femmes en ont, détaille l'hôtesse. Seule surface striée du vagin, il se situe vers le nombril, mesure 4 centimètres.» Une gorgée de rouge pour la route, en attendant Stubby. Aîné de Mini Paul, il mesure 5 centimètres de plus et est auréolé d'une collerette : «Vous connaissez ces histoires où M. Untel a atterri aux urgences pour avoir abusé d'ustensiles inappropriés ?» Affirmatif. La collerette donc, pour éviter que Stubby ne s'égare. Gloussements. Le bougre passe de main en main. Anatomie, vitesses et rythmes sont testés. Cécile loue ses vertus antistress. Elle n'a pas vu le Castor argenté, ni le Rabbit rouge et argent, «très efficace instrument de plaisir». Egalement disponible en waterproof.
Les délices du massage de prostate
Et les hommes, direz-vous fort judicieusement, pourquoi n'auraient-ils pas droit eux aussi aux percées de la technologie moderne ? Passons sur les «anneaux vibrants», petites bagues secouantes à glisser autour du sexe, ils sont en vente depuis au moins deux ans dans tous les hypermarchés. Et ne nous avançons pas sur le «rubbot», un gros appareil également secouant, qui promet d'être le premier «masturbateur totalement main libre» (ce qui en effet est une première dans l'histoire de l'humanité). Il n'est qu'à l'état de projet. Mais glissons un mot d'une nouveauté qui déchaîne les passions : le «masseur de prostate». Réservé aux hommes par définition, il est une sorte de petit phallus recourbé, parfois animé, que l'on introduit en soi et qui permet, par l'arrière donc, d'aller chatouiller cette fameuse petite glande dont personne n'a jamais trop compris à quoi elle servait mais dont les utilisateurs garantissent qu'elle est capable de déclencher des plaisirs immenses. Chez IEM, leader du sexe gay, on commercialise depuis quelques mois à peine un modèle nommé Rude Boy (littéralement, le «garçon impoli»), qui est déjà «en rupture de stock». Contrairement à ce que supposeraient des esprits étroits, ces objets ne se limitent pas à une clientèle homo : «Les hommes hétéros, soupire de soulagement le sexothérapeute Alain Héril, se mettent enfin à découvrir que ces zones-là sont érogènes chez eux aussi.» On retrouve, sur les forums d'utilisateurs, quelques-uns de ces mâles, toutes orientations mêlées, qui échangent sur leur quête effrénée du nouveau graal masculin, «l'orgasme prostatique». Et puis c'est comme pour les yaourts et les fruits et légumes, «il y a l'élément santé», souligne le vendeur de chez IEM. Masser la prostate ne pourrait lui faire que du bien. On ne dispose pour l'instant d'aucune étude vraiment bétonnée pour l'affirmer, mais Alain Héril, qui n'est pas médecin, certes, mais connaît ces questions, ajoute : «Ca ne peut pas faire de mal, et quoi qu'il en soit, pour la prostate, à partir de 45 ans, il est prouvé qu'il faut au moins une éjaculation par jour.» Lecteurs, vous voilà prévenus.
Les vendeuses nues sous leur blouse
Terminons sur une note romantique. Les conquistadors de la lingerie canaille sont britanniques. En deux ans, l'Agent provocateur s'est fait une place entre balconnets et pigeonnants français. Mais cet ambassadeur du dessous coquin teste encore le marché hexagonal, réputé particulier : «Orcanta, Aubade, La Perla... il y a pléthore de maisons», pointe Françoise de Bouville, chargée de la lingerie au Printemps. Dans cette débauche de dentelles, la culotte anglaise tranche par un savant marketing du désir. La publicité est inexistante. Remis aux seules clientes, les catalogues se passent sous le manteau. Mais, en France, l'Agent provocateur s'exhibe au Printemps. Face aux très sages slips Sloogy. Le feu et la glace. Véritable pousse-au-crime, la mise en scène fait le reste. Sans un mot, sans une œillade, les vendeuses participent du fantasme. Quasi nues sous leur blouse qui laisse imaginer le porte-jarretelles, elles reçoivent comme dans un boudoir. Avec le naturel des expertes en frivolités. Ici tout est dentelle et soie, corsets, badines et volupté. «Un concept de Joseph Corre, le créateur de l'Agent provocateur, précise la responsable. Il a sorti la lingerie du ghetto des sex-shops, en rhabillant de matières nobles.» Un lifting de la panoplie hard d'abord opéré à Londres, où l'arsenal intime aux tons layette confinait à la faute de goût : «Il fallait sortir des froufrous gnangnan», note Hind Hadj, au marketing. Et réinventer une lingerie pour tailles de guêpe à tablier de soubrette. «Plus osé que les marques institutionnelles, ce n'est pas sale, pas «dark», comme disent les Anglais», insiste Françoise de Bouville.
Isabelle Curtet-Poulner, François Reynaert
Sexe : pratiques

- Masturbation. Reconnue par 90% des hommes, qui commencent tous jeunes, et 60% des femmes, qui s'y mettent plus tard.
- Sexualité orale. Entrée massivement dans les mœurs dans les années 1990-2000. Dès 25 ans, deux tiers des femmes pratiquent la fellation. Le cunnilingus, lui, a été expérimenté par 85% des hommes et des femmes.
- Pénétration anale. Toujours minoritaire. Cependant, 37% des femmes et 45% des hommes en ont déjà fait l'expérience. Plus qu'en 1992.
- Amour sans pénétration aucune. Une femme sur cinq et un homme sur trois interrogés y ont eu au moins une fois recours dans leur parcours sexuel.
- Premier rapport. En plein air, à la plage, en forêt ou dans les champs pour les plus âgés. Ensuite, dans la voiture. Aujourd'hui, chez les parents ou dans une chambre prêtée par des copains.
- Préservatif. 90% des jeunes aujourd'hui l'utilisent lors de leur premier rapport. Une personne sur deux a déjà fait un dépistage du VIH. Inquiétant en revanche, ces 26% d'hommes hétéros et 32% de femmes qui ont eu au moins deux partenaires dans l'année et ne se sont pas protégés.- Internet. Désormais partie intégrante du paysage amoureux. 10% des femmes (jusqu'alors rétives au Minitel rose) et 13% des hommes interrogés se sont déjà connectés sur des sites de rencontre.Les jeunes filles autant, voire plus, que les garçons.
- Fréquence. Comme en 1992, les femmes et les hommes déclarent avoir en moyenne neuf rapports sexuels par mois. Et ils en sont satisfaits à 90%.

Agathe Logeart
Le Nouvel Observateur
NovelObs, Nº2261, SEMAINE DU JEUDI 06 Mars 2008

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