vendredi 7 mars 2008

A quoi rêve la nouvelle Eve ?

Humeur

Des prédatrices, les femmes d'aujourd'hui ? François Caviglioli est un sceptique de la vieille école. Il ne croit pas à la statistique. Il est allé regarder derrière les chiffres

A la question : Trompez-vous votre femme ? un gentleman doit toujours répondre non», disent les Britanniques. Les Français ne sont pas toujours des gentlemen. Ils sont 4,9% à avouer, ou mieux à étaler une ou plusieurs aventures hors mariage. Les Françaises se montrent plus timides : seulement 1,4% des femmes mariées consentent à faire état d'un adultère. Les hommes restent des chasseurs. Ils ne peuvent s empêcher de comptabiliser leurs conquêtes. Ils n'ont pas perdu l'habitude infantile de faire des encoches sur leur sexe pour rappeler leurs victoires.
Le nombre des amants de rencontre grimpe chez les femmes jusqu'à 3,6% lorsqu'elles vivent sous le régime de la cohabitation sans mariage, qu'on appelait naguère plus simplement le concubinage. Le mariage reste un frein à l'épanouissement de la sexualité féminine. Malgré la libération sexuelle, les Françaises obéissent encore aux recommandations du curé ou du maire. Leur robe de mariée et leur bouquet de fleurs d'oranger sont encore rangés dans leur armoire, et surtout dans leur tête.
On remarquera que ces chiffres concernant l'adultère sont bien modestes. On ne savait pas la France si vertueuse. Quelle désillusion pour tous ces étrangers qui nous enviaient notre licence effrénée ! La difficulté d'une enquête sur la sexualité, c'est que tout le monde ment. Les hommes par vantardise, ou au contraire par prudence instinctive, les femmes par omission, ou plutôt sous l'effet de la perspective déformante et sélective à travers laquelle elles regardent leur vie sexuelle. Elles ont tendance à éliminer de leur mémoire les partenaires de passage qu'elles jugent sans importance. On ne sait rien sur ces amants oubliés, ni leur nombre ni pourquoi ils apparaissent, avec le recul, indignes d'être mentionnés. Toutes ces femmes interrogées ne sont que des ombres, elles sont enfermées dans des colonnes de chiffres, elles n'ont pas le loisir d'exprimer l'inexprimable, le plaisir, le désir, les tentations, l'éblouissement ou les regrets. L'enquête doit être complétée, éclairée par des confidences bien difficiles à arracher. Ces partenaires passés sous silence ont pu être techniquement décevants. «Seuls les bons coups laissent une trace», dit une épouse en faisant le bilan de son passé secret. Mais, très souvent, c'est la brièveté de la rencontre qui fait que l'amant de 5 heures du soir - qui reste, depuis la Belle Epoque, l'heure idéale pour l'adultère furtif - n'est plus qu'un fantôme sans visage et sans corps. «Pour me souvenir d'un homme, il me faut une relation, un début d'histoire», dît une amie. Dieu sait si les hommes s'en plaignent, l'«instant sex» reste étranger à la sensibilité féminine. Ce sont les diplômes qui font tomber les tabous. Les femmes ayant fait des études supérieures se montrent plus audacieuses que les simples bachelières ou les titulaires d'un CAP. Au cours de sa vie, une femme cadre aura trois fois plus de partenaires c'est-à-dire d'amants, en novlangue qu'une ouvrière non qualifiée, qui elle-même apparaît comme une Messaline à côté d'une ouvrière agricole réduite à une chasteté de nonne. Il y a longtemps que les meules de foin n'abritent plus ces étreintes bucoliques qui faisaient fantasmer les jeunes citadins. Les femmes doivent passer des examens pour jouir sans entraves.
Pour obtenir la parité dans la sexualité considérée comme un sport de combat, les femmes souffrent d'un lourd handicap : les hommes paniquent dès qu'elles se montrent performantes. «C'est moi qui ai dragué mon mec, dît une Lyonnaise. Je lui ai pris la main au cinéma. Il me le reproche encore cinq ans après. Il a peur que je fasse ça avec d'autres.» Les prédatrices ne font pas recette. Malgré les progrès de l'émancipation, le temps n'est pas encore venu. Les femmes le savent. Autrefois elles «jetaient le mouchoir» pour obliger l'homme convoité à le ramasser et à le leur tendre. Aujourd'hui il n'y a plus de mouchoir. Quel homme irait ramasser un Kleenex ? Mais il reste le regard, l'œillade, le sourire, ou au contraire la froideur, l'indifférence feinte, toutes ces recettes millénaires qui font de l'homme un pantin. N'invitez jamais un homme à dîner, mesdames, vous risquez la panne. C'est toujours la femme qui choisit, mais il est encore trop tôt pour le lui dire.


François Caviglioli
Le Nouvel Observateur
NovelObs, Nº2261, SEMAINE DU JEUDI 06 Mars 2008

Aucun commentaire: