dimanche 9 mars 2008

Une analyse du passé qui traîne en longueur


Nicolae Ceauşescu, Photo: AP


En 2006, une commission a commencé pour la première fois à travailler sur la mise à jour et l'analyse du passé communiste en Roumanie. Mais déjà en Janvier 2008 la cour constitutionnelle roumaine a décidé que la manière de traiter les documents de la Securitate n'est pas conforme à la Constitution.
2008 est une année d'élection en Roumanie. En novembre sont prévues des élections parlementaires ; il est « à nouveau temps d'aller remuer les ordures et certains vont prendre peur », a déclaré récemment le renommé écrivain roumain Mircea Dinescu, qui fait partie depuis des années du Comité directeur du Conseil national d'étude des archives de la Securitate, le CNSAS (Consiliul Naţional pentru Studierea Arhivelor Securităţii).

Reste à savoir si cela va se réaliser. Fin janvier, la cour constitutionnelle roumaine a décidé que la loi qui règlemente le travail du CNSAS depuis 1999 est en partie contraire à la Constitution. La cour a ainsi reconnu comme justifiée la plainte de l'homme politique et homme d'affaires Dan Voiculescu que le Conseil avait démasqué en 2006 – peu avant sa nomination à la fonction de vice Premier ministre – comme espion de la Securitate et fournisseur en devises de l'ancien dictateur Nicolae Ceaucescu.
Le Parlement roumain a maintenant jusqu'à la mi-mars le temps de modifier en conséquence la loi sur le traitement des archives. Si cela ne se fait pas, le CNSAS sera dissoût et tous les cas qu'il a dévoilés seront annulés. Ce serait la fin d'une confrontation avec les lourds crimes de la Securitate, les redoutés services secrets roumains. Pour Mircea Dinescu, cela est inimaginable. Il espère que « les citoyens vont manifester leur opposition dans la rue ».
La nomenklatura empêche le travail d'analyse
Mais le CNSAS n'a jamais vraiment pu s'établir en institution influente depuis sa création en 1999. Jusqu'ici, il n'a pu remuer qu'avec des pincettes le « panier de crabes » dont parle Mircea. Il y a beaucoup de raisons à cela. Tandis qu'en RDA, les défenseurs des droits de l'Homme ont mis les archives de la Stasi en sécurité, on ne savait pas dans les journées de la Révolution de 1989 en Roumanie où se trouvaient les archives de la Securitate, dit Ticu Dumitrescu, chef de l'Union des anciens prisonniers politiques en Roumanie et l'un des pionniers de la loi sur l'étude des archives. La nomenklatura qui a pris le pouvoir politique en Roumanie tout de suite après le changement « a par contre pu tranquillement mettre ses ouailles à l'abri », selon Dumitrescu. Les scandales sur le lieu de séjour des archives ne manquent pas. Ainsi en 1991, des journalistes ont trouvé dans un ravin de la commune de Berevoişti (près de Bucarest) des tonnes d'archives de la Securitate que les services secrets avaient soi enterrées, soi brûlées. Un seul mot du Parlement ou du gouvernement aurait suffi au début des années 90 pour pouvoir conserver les archives de la Securitate en l'état le plus original possible, archives qui comptaient deux millions de documents. La nomenklatura politique n'avait pas intérêt à une mise à jour – le matériau de leur propre passé aurait bien trop été accusateur. Pendant une décennie, la proposition du défenseur des droits de l'Homme Ticu Dumitrescu pour l'étude des archives des services secrets fut discutée et très diluée. En 1999 seulement, la Roumanie a été le dernier pays est-européen à réglementer la consultation des archives, créant le Conseil national d'étude CNSAS qui devait fonctionner sur le modèle de l'Administration allemande s'occupant des archives de la Stasi. La réalité est différente.
Dès le départ, le Conseil a dû se défendre contre les dénonciations. L'ancien Premier ministre social-démocrate Adrian Nastase qualifia le CNSAS de « lécheur de documents » et une institution qui « ouvre des tombes ». Des attaques vinrent aussi du côté de l'église roumaine-orthodoxe qui refuse jusqu'à aujourd'hui que le Conseil étudie les dossiers de représentants de l'église ayant étroitement collaboré avec les services secrets sous le régime communiste. Mais la plus grande farce sont restées les archives qui eurent le droit d'être gérées pendant des années non pas par le CNSAS mais par les services secrets de l'Intérieur – l'organisation ayant succédé à la Securitate. C'est seulement sous la pression de l'entrée dans l'UE que le Conseil est devenu propriétaire des archives. Lorsque les services secrets de l'Intérieur SRI (Serviciul Romăn de Informaţii) annoncèrent en 2006 avoir remis tous les dossiers, la nouvelle sembla décourageante : le service de renseignement avait eu le temps pendant 16 ans de classer les dossiers à son gré. Et les documents les plus intéressants ont certainement dû disparaître.
Le retardement pendant des années de l'étude des archives est une pure dérision pour les victimes de la Securitate. Leur nombre est estimé à un million de personnes. Parmi elles, par exemple, la renommée écrivain germano-roumaine Herta Müller qui a été poursuivie par la Securitate en raison de ses livres critiquant le système. Jusqu'à aujourd'hui, elle n'a pas pu consulter ses dossiers, du CNSAS elle n'a obtenu que quelques feuillets disparates que Müller qualifie de « bric-à-brac de détritus qui offense mon bon sens ».
Les hommes politiques n'ont aucune raison d'avoir peur des archives
Au moment de la Révolution, la Securitate créée en 1948 comptait 15 000 employés. On ignore jusqu'à aujourd'hui combien d'espions travaillait pour elle. Jusqu'à un million, estiment les experts. N'a été démasqué jusqu'à présent qu'un petit nombre de quelques centaines d'officiers et d'informateurs. Dans des cas particuliers, des officiers de la Securitate ont dû passer en justice pour leurs actes de répression. Mais la majorité s'en est bien sortie : les agents de renseignements ont continué d'exercer leurs fonctions dans les nouveaux services secrets de l'Intérieur, ont mis à profit d'anciens réseaux pour créer des sociétés économiques ou perçoivent aujourd'hui sept fois plus que la retraite roumaine moyenne. Ceux qui sont entrés en politique après la Révolution n'ont manifestement pas de raisons de craindre une mise à jour. Selon la loi, le président de l'État, les ministres, les députés, les maires doivent déclarer avant les élections s'ils ont espionné pour la Securitate. Mais jusqu'à présent, aucun homme politique n'a été condamné pour faux témoignage sur son propre passé. Les experts supposent que l'on pourrait prouver qu'un quart des députés roumains a exercé une activité pour la Securitate mais les dossiers correspondants manquent. Le nombre est effrayant si l'on pense qu'ils décident de l'avenir démocratique de la Roumanie. « La tragédie est », dit Ticu Dumitrescu, qui était en détention politique avant la Révolution, « que les bourreaux d'hier sont à nouveau nos juges aujourd'hui. » A cela vient s'ajouter le fait que seules les victimes de la Securitate se plaignent de la lenteur de la mise à jour, la majorité des Roumains a d'autres soucis : survivre ou faire carrière.
Gel de la loi de lustration
Aujourd'hui encore, le président de l'État Traian Basescu se vante de son passé. « J'étais un fidèle serviteur de mon pays », dit l'ancien capitaine sur sa position de représentant de la Société roumaine de navigation commerciale à Anvers qu'il possédait à la fin des années 80, et dont on dit qu'elle doit aussi avoir eu des contacts avec la Securitate. Pas de preuves jusqu'ici ; au contraire, Basescu se pose en pionnier de la mise à jour et de l'analyse. Sous la pression de défenseurs des droits de l'Homme, le chef de l'État a ordonné en 2006 une commission d'experts pour l'étude du passé communiste sous la conduite du politologue Vladimir Tismaneanu. En quelques mois, le comité a établi le portrait jusqu'ici le plus détaillé et le plus étendu du communisme roumain, sur la base duquel le chef de l'État roumain a pu condamner le régime communiste comme illégitime et criminel. L'entrée en scène de Basescu devant le Parlement était aussi un symbole fort vu le moment choisi – fin 2006 et peu avant l'entrée de la Roumanie dans l'UE – mais malheureusement pas plus que cela. L'une des requêtes centrales de la commission d'experts – une loi de lustration – est discutée sans succès depuis des années au Parlement. Elle doit interdire toute fonction politique pour plusieurs années à des décideurs de l'ancien Parti communiste roumain (RKP). La loi de lustration pourrait aussi faire avancer l'étude de l'appareil répressif des services de renseignements et dévoiler les décideurs. Ainsi, au niveau local, les secrétaires du Parti faisait savoir à la Securitate qui elle devait observer ou arrêter. L'historien Stejarel Olaru, qui a fait des recherches sur la Securitate et est aujourd'hui conseiller en matière de sécurité au gouvernement ne croit pas qu'une loi de lustration soit jamais votée en Roumanie. « Il est d'autant plus important que le CNSAS traite les archives, afin qu'au moins une partie des répressions sous le régime communiste soit punie. »

Annett Müller


Annett Müller travaille à Bucarest et Leipzig comme journaliste indépendante pour ARD, n-ost et eurotopics. Elle a fait des études de journalisme et de psychologie ...

Aucun commentaire: