mardi 1 avril 2008

1968 : la jeunesse s’empare de la vie privée. 2008 : la victimisation fait la loi.

Recueilli par Béatrice VALLAEYS
Libération : samedi 29 mars 2008

Alain Touraine, quel âge aviez-vous en 68, que faisiez-vous, où étiez-vous ?

Alain Touraine : En 68, j’ai 43 ans. Je suis professeur, puis directeur du département de sociologie à Nanterre. Nanterre a été fondée en 1965 pour créer une université nouvelle contre la Sorbonne. Je suis arrivé l’année suivante dans le même esprit et je n’y suis resté que trois ans, car rapidement, Nanterre a été en pleine décomposition. J’ai donc passé trois ans comme professeur de sociologie à Nanterre. Une position très privilégiée, car j’ai pu mesurer ce qui était en train de se passer. Nous avons eu une première grève en 1967 - une sombre histoire sans intérêt de comptabilité de cours suivis - mais elle m’a préparé à l’agitation. En février 1968, j’ai d’ailleurs publié deux articles dans le Monde disant qu’il se passait quelque chose à Nanterre, ce qui laissait tous mes amis sceptiques.

Quelle était la nature de cette agitation ?

A.T. : Nanterre était un lieu perdu, et pour arriver à la tour C (philosophie, sociologie), il fallait sauter sur des bidons posés dans une mare d’eau. Cet endroit ignoble avait des effets très favorables, car enseignants et étudiants vivaient ensemble du matin au soir. Très souvent, je déjeunais avec Cohn-Bendit, avec qui je m’entendais bien et qui venait suivre mon séminaire à Paris. Nanterre avait aussi des «maisons d’étudiants» pour les internes. C’est ce thème de la vie des jeunes et leurs libertés, notamment sexuelle, qui a tout déclenché.

Ce sont donc de questions de mœurs qu’on discutait à Nanterre ?

A.T. : Des «groupuscules» régnaient sur la Sorbonne: les trotskistes, les maoïstes, tandis que Nanterre était dominé par le groupe du 22 mars : des anarchistes, avec, chez Cohn-Bendit personnellement, un fort contenu anticommuniste. Les thèmes culturels étaient plus visibles à Nanterre. Exemple : Nanterre est occupé le 22 mars, quelques portes et fenêtres sont brisées et la machine universitaire réunit un conseil de discipline pour juger ces jeunes gens. Interdits d’avocats, ils avaient le droit de choisir un professeur. Nous nous sommes retrouvés à trois ou quatre, notamment Paul Ricœur et moi-même (j’avais personnellement à défendre Cohn-Bendit et sa petite bande). Le président interroge les «casseurs» : «Le 22 mars, vous étiez à la faculté ? - Non, dit Cohn-Bendit, je n’étais pas à la faculté. - Où étiez-vous ? - J’étais chez moi - Et que faisiez-vous chez vous à 3 heures de l’après-midi ? - Je faisais l’amour, M. le président, ça ne vous est sûrement jamais arrivé.» Voilà pour le ton.

Marcela Iacub, c’est à vous de vous présenter…

Marcela Iacub : Je suis arrivée en France en 1989. En mai 1968, j’ai exactement 4 ans et je vis en Argentine. L’Amérique latine a connu des mouvements proches de ceux qui se déroulaient en Europe. Mais là-bas, le sort des jeunes qui manifestaient pour les mêmes thèmes que ceux débattus ici en mai 68 fut tragique. C’est vrai que ces révoltes de jeunes ont fini par coïncider avec les coups d’Etat en Amérique latine, et les dictatures militaires les ont réprimées dans le sang alors qu’il n’y avait pas de risques insurrectionnels comme on l’a prétendu : c’était le maccarthysme exporté en Amérique du Sud par les Etats-Unis. Pendant la période de la dictature militaire, être jeune était devenu dangereux. On a retrouvé des charniers de gamins de 13 ans assassinés parce qu’ils avaient organisé une mobilisation afin de payer moins cher un ticket de bus pour aller à l’école. Voilà pourquoi je trouve magnifique cette révolte française sans violence et qui a eu énormément d’effets sur la société.

A.T. :La violence était d’expression et de libération de la parole.
M.I. : Ce n’est pas une violence ça, c’est la liberté.

A.T. : Une liberté sans fin. 68, c’est l’invasion de la sphère politique par la culture et la vie privée. Les étudiants ont un langage très ouvriériste mais il n’y a aucun contact réel avec la classe ouvrière, ce sont deux mondes complètement différents. Même s’il parle politique ou social, c’est un mouvement qui n’est ni fondamentalement politique, ni fondamentalement social.

M.I. :Je crois cependant que, sans le savoir, les protagonistes de Mai 68 réclamaient des changements dans le registre des mœurs qui étaient en fait déjà en préparation. Il y a à cette époque une véritable crise du modèle de la famille, du mariage comme institution dont les politiques publiques sont bien conscientes. Il fallait substituer ce modèle. La liberté sexuelle était le nom que l’on donnait à la sexualité qui devait s’organiser en dehors de l’institution du mariage.
A.T. : Ils avaient quand même un sentiment de grande rupture et d’innovation. On a vécu soudain dans un monde où on n’avait pas mis les pieds avant. La France sort d’une série d’événements majeurs qui donnent tout l’espace au public : les guerres, puis la reconstruction, ensuite les guerres coloniales. On se préoccupe du domaine économique, on reconstruit des usines. Mais des logements, non. Il a fallu quelque huit ans pour se rendre compte qu’il fallait en construire. La guerre d’Algérie s’achève en 1962. Règne Pompidou [ Premier ministre de 1962 à 1968 , ndlr], qui n’est pas spécialement un homme ouvert à la jeunesse. Quand on arrive à ces années-là (1965-1967), tout a été plus ou moins remis sur les rails dans la vie économique, mais rien dans le domaine de la vie privée. L’essentiel de 68, c’est de faire émerger d’abord le concept de jeunesse, c’est-à-dire une catégorie qui se définit par son rapport à la vie privée.

M.I. : Il n’y a pas que les jeunes qui ont une vie privée.

A.T. :Quand je dis jeunesse, il ne s’agit pas d’une catégorie sociale, ni politique. La notion de jeunesse a d’ailleurs donné lieu à des discussions. Pour Bourdieu, par exemple, la jeunesse n’existe pas. La jeunesse bourgeoise, c’est la bourgeoisie jeune. Je ne partage pas cette opinion. Il s’agissait là de donner la priorité à l’expression de soi en tant non pas seulement qu’étudiant mais en tant que jeune. C’est nouveau, la France ayant toujours été en retard du point de vue des représentations de la vie privée.

M.I. : Pas vraiment car elle a été longtemps un pays d’avant-garde dans ce domaine. Après la Révolution de 1789, c’était le seul pays occidental qui avait aboli les crimes liés à l’hérésie comme la sodomie, la zoophilie ou l’inceste. En Angleterre, on pend encore des homosexuels en 1860, le concubinage est interdit en Suisse à cette même époque.

A.T. :Peut-être, mais en Angleterre, les femmes ont le droit de vote après la Première Guerre mondiale, les Françaises attendront 1945. Il est vrai qu’elles avaient une place dans la vie culturelle très importante.

M.I. : Les Anglaises et les Américaines ont eu en effet des droits politiques plus tôt, mais sur le plan des mœurs, la France est jusqu’au début du XXe siècle un pays exemplaire.

A.T. : J’ajouterais que la France est dominée pendant deux cents ans par la lutte entre l’Eglise et l’Etat. La moitié de la population, qui est du côté de l’Etat, est libérale ; l’autre moitié, proche de l’Eglise catholique, très conservatrice. En 68, les étudiants sont majoritairement issus d’une classe moyenne où la proportion des catholiques au sens large du mot est encore élevée. Pourtant, les intellectuels et les militants contre l’Eglise ont donné un ton très libérateur, très revendicatif. Et l’autonomie de la jeunesse, définie par le fait que le culturel commande, c’est quand même Mai 68 qui l’a inventée. Prenez le mouvement surréaliste, Dieu sait que l’homosexualité y est présente, mais pas la jeunesse. Jusqu’en 1962, pendant les guerres coloniales, on ne parle pas de jeunesse, on parle d’insoumission.

En France, la loi Neuwirth date de 1967. La libéralisation de la contraception est nettement antérieure dans plusieurs pays d’Europe...

M.I. : Ce retard pris sur la contraception et l’avortement en France tient à la politique de natalité. A la fin du XIXe siècle, la France commence à se préoccuper de sa population, qui doit être en bonne santé et beaucoup plus nombreuse, pour faire des soldats. Il faut procréer à tout prix, on encourage les femmes célibataires à faire des enfants en leur donnant des moyens juridiques et économiques. La contraception est alors une atteinte, voire une trahison à la patrie. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, même si l’avortement est interdit, on trouvait des petites annonces de «faiseuses d’anges» dans les journaux. Il y avait aussi beaucoup d’infanticides, mais les poursuites étaient rares. Soudain, arrive une campagne folle contre la contraception et l’avortement qui donnera la loi de 1920. D’autres pays ont opté pour des politiques de «sélection», l’idée étant que tout le monde ne devait pas se reproduire. Ces pays-là - en dehors de l’Allemagne nazie - ont validé plus simplement la contraception depuis les années 30. L’un des effets de la première grande crise du mariage napoléonien, au début du XXe siècle, a été de reconnaître à l’enfant naturel une place, certes inférieure à celle de l’enfant légitime, pourvu que la France compte plus de citoyens. Néanmoins, les stigmates sociaux qui accompagnaient les enfants naturels ont fait que leur nombre est resté bas et relativement constant du début du XIXe siècle jusqu’aux années 70. Depuis, ce nombre a explosé : le monde privé n’est plus tenu par le mariage.

A.T. : Il y a une perte de contrôle sur les comportements.

M.I. : Je pense qu’il s’agit plutôt d’une volonté de réorganiser la société à partir d’autres fondements que le mariage. La sphère privée s’organisera désormais autour de la sexualité. Le pivot des nouvelles familles sera la femme fertile qui décide de faire naître, ou pas. Bref, la mère désirante.

A.T. : L’argument de la libération de la contraception en 1967 était qu’elle limiterait l’avortement (ce qui ne s’est d’ailleurs pas produit). Bref, les légitimations sont d’un ordre social. En 68, ce n’est plus ainsi qu’on voit les choses, et la grande affaire, c’est l’autonomisation d’un secteur - celui des mœurs - qui n’est plus commandé par l’Etat.

M.I. : Je pense au contraire que jamais la sexualité n’a été autant organisée et surveillée par l’Etat. Après les réformes des années 70, l’Etat a été partout présent dans la vie privée. C’est un peu le paradoxe de 68.

Les lois qui suivent rapidement la révolte de Mai sont tout de même de bonnes lois…

M.I. : Bien sûr. C’est une bonne chose qu’en 1970, une loi autorise l’autorité parentale conjointe ; qu’en 1972 on reconnaisse l’égalité des enfants légitimes et naturels, ce qui fait définitivement exploser le mariage. Après vient la majorité à 18 ans en 1974, le divorce par consentement mutuel en 1975, l’avortement cette même année. Il est incontestable que les années 70 ont fondé un nouvel ordre sexuel et familial. Mais les choses se gâtent à partir de 1975, quand apparaissent des groupes gauchistes qui réclament de la répression, luttent pour de la prison. Je parle des groupes féministes sur la question du viol. A la fin du XIXe siècle, les juges considéraient que les peines contre les violeurs étaient trop dures. Ils appliquaient du coup une infraction mineure, l’outrage public à la pudeur, et des peines moins lourdes. Mais cette tendance commence à s’inverser à la fin des années 40. Après, c’est l’explosion. Le combat des féministes, à partir de 1976, contre le viol s’inscrit dans cette politique judiciaire antérieure, mais il est particulièrement surprenant de la part d’une avant-garde. Et c’est un grand tournant : la prison est censée nous sauver du mal mâle. Un tournant d’autant plus curieux qu’au même moment, d’autres parlent d’abolir la prison. De là aussi sont nées des dérives du genre «toute relation sexuelle est un viol». Pour moi, c’est la fin de 68. Penser la prison comme un salut, c’est plutôt stalinien.

A.T. :Ce que vous dites n’appartient pas aux revendications culturelles de 68. A partir de 1975, on entre en période libérale ; l’économie administrée dans tous les pays du monde recule, et en moins de dix ans, le monde devient libéral. Or traditionnellement, ceux qui sont libéraux économiquement sont répressifs culturellement. C’est le début d’un processus répressif qui à l’heure actuelle est extraordinaire. Entre le milieu des années 70 et aujourd’hui, nous avons assisté à une régression énorme. Ce qui se discute sur la prison à vie des délinquants sexuels susceptibles de récidive était impensable il y a trente ans.

Chaque loi régressive adoptée, même contestée, renforce le champ liberticide.

M.I. :C’est évidemment ce qui se passe depuis plus de trente ans en France. Mais reprenons le modèle de la famille napoléonienne. Je n’en suis pas une apologue, mais à l’époque, l’Etat avait délégué au privé le soin de régler les mœurs (au sein de la famille principalement). Du même coup, il ne s’immiscait pas dans les relations entre les individus. La sexualité a donné à l’Etat un magnifique moyen de concevoir le mal infini que chaque individu peut faire à l’autre. L’idée est aujourd’hui ancrée que dans nos relations interindividuelles, les individus sont capables de se produire des maux atroces, et que l’Etat doit se poser en tiers arbitre. Ainsi légitime-t-il une répression pénale de plus en plus forte. Au lieu de nous méfier de l’Etat, nous nous méfions de nos proches et de nos moins proches et demandons à l’Etat de nous protéger.

En devenant le moteur de la révolte, la sexualité aurait donc ouvert la voie aux femmes qui auraient réclamé de l’Etat des lois répressives pour les protéger…

M.I. : C’est vrai aujourd’hui pour toute la population. Désormais, tous les sujets sont censés être vulnérables. Et toute la démagogie pénale actuelle est celle de la victimisation.

A.T. :Nous avons en effet assisté à une transformation du féminisme en non-féminisme, c’est-à-dire en dénonciation de la femme victime. La femme n’est plus actrice comme elle l’était encore depuis le début du siècle. Aujourd’hui, on ne croit plus à l’action. Croire à l’action, c’était croire à l’action politique contre les monarques et surtout croire au mouvement ouvrier. Or le mouvement ouvrier disparaît à partir des années 70 et de ce moment-là, en l’absence de mouvements visibles, une définition négative va dominer la vie intellectuelle - Bourdieu étant le cas extrême : «Je définis quelqu’un par ce qu’il subit.» Mais ce quelqu’un est supposé incapable de réagir parce qu’il est pris dans des systèmes de manipulation, de justification idéologique. Les femmes ne sont pas les seules emportées par cette idée. 68 est tout à fait autre chose. Et après cette révolte, on assiste en effet à un recul qui n’intervient pas seulement du côté de l’Etat, il existe aussi, et surtout, dans la société française tout entière. On peut dire que finalement, les idées de 68 ne prennent pas. Certes, les mœurs changent, mais ce qui se passe en 68 n’est pas capable de s’affirmer. Prenez l’homosexualité : on reste au stade de la tolérance. La visibilité de l’homosexualité est extrêmement faible en France.

M.I. : Pour moi, le mieux qui puisse arriver à quelqu’un, c’est d’être invisible à l’Etat.

A.T. :Ce n’est pas seulement le fait que l’Etat s’empare des choses, c’est aussi que les acteurs sociaux ont disparu.

Pourquoi un tel renoncement ?

A.T. : Les thèmes politiques n’existent plus guère, on n’est menacé ni de fascisme, ni de monarchie, ni de révolution. Les mouvements sociaux qui se retrouvaient sur le thème de la culture ouvrière et de l’anticapitalisme disparaissent. Du coup, tout le monde est d’accord pour dire que ce qui se passe est l’effet d’une domination. On n’est donc pas responsable.

M.I. : Je persiste à penser que les réformes sur la vie privée ont conduit les gens à penser que l’Etat était du côté du bien. Jusqu’alors, personne ne croyait que les juges étaient les mieux placés pour organiser la société. Or, dans les années 70, commencent à disparaître d’autres normativités sociales et on va vers le tout juridique.

A.T. : Au risque de me répéter, je crois qu’avec la fin du mouvement ouvrier, la fin de l’existence de l’Union soviétique et avec la montée de l’Amérique, la scène sociale française se vide. A ce moment-là, il y a de la violence, et s’il y a de la violence, il y a intervention de l’Etat au nom de l’ordre. Et les gens demandent à être protégés.

M.I. : Pas seulement protégés. L’idée qu’il puisse exister des formes de vie multiples dans la même société sans que l’Etat ne les organise directement est complètement morte. A tel point que l’Etat prend de plus en plus une sorte de pouvoir spirituel. Quand on crie à la perte des repères, c’est que l’Etat veut imposer les siens.
Le premier, Luc Ferry s’en est pris à Mai 68, responsable, selon lui, d’un individualisme stérile. Du coup, l’individu fragilisé se serait tourné vers l’Etat faute de groupe de soutien.
A.T. : Je pense que l’individualisme peut être la décomposition du social, mais qu’il est aussi autre chose. L’individualisme peut être par exemple communautaire, au sens d’individus qui partagent les mêmes opinions.

M.I. : L’Etat se plaint qu’il n’y a plus de repères alors qu’il a cassé toutes les instances intermédiaires susceptibles de les créer. Ces instances produisaient des normes disciplinaires, morales, de politesse. Et elles en étaient aussi juges. Aujourd’hui, la confusion est de plus en plus forte entre le droit et la morale. Les romanciers du XIXe siècle, et jusqu’aux années 30 - Balzac est sans doute le plus intéressant - n’avaient pas cessé de mettre en scène ces distinctions entre le droit et la morale. Le droit apparaissant comme quelque chose d’extérieur aux individus et comme une machine arbitraire. La société devait faire avec. Aujourd’hui, le droit apparaît comme une instance salvatrice.

A.T. :L’une des caractéristiques françaises, en effet, est que l’Etat a voulu à la fois être la loi et la morale. L’école publique est une école morale. Les déclarations, les textes montrent qu’on a remplacé la religion par une religion laïque, de progrès. En 68, l’idée est née qu’il pouvait y avoir une morale à partir des conduites personnelles, alors même que l’Etat de Jules Ferry était devenu purement répressif : si l’Etat donne de la liberté, c’est pour combattre le monopole catholique. Le contrôle moral jusqu’avant 68 est exercé par l’Eglise catholique. L’Etat a donc eu le rôle de lutter contre.

M.I. : En fait, la séparation de la religion du droit est nettement plus ancienne. A partir de la Révolution, le mariage n’est plus obligatoirement religieux, la religion n’a pas une importance fondamentale dans les relations des parents vis-à-vis des enfants. L’émancipation du droit de la religion commence à partir de la Révolution. Même la répression de la contraception et de l’avortement est davantage liée aux politiques natalistes que religieuses.

Pensez-vous qu’on peut parler d’un héritage de 68 en matière de mœurs ? Cet héritage est-il positif ou négatif ?

A.T. : 68 est quelque chose d’extrêmement neuf, que le système politique et même culturel n’ont pas été prêts à recevoir. On l’accueille en même temps qu’on le rejette. Si on parle autant aujourd’hui de 68, c’est parce que cet événement recommence à avoir un sens. La période dite libérale mise en place en 1970 et 1975 en Europe montre des signes d’épuisement. On recommence donc à se demander sur quoi on peut faire vivre notre société. On ne peut pas vivre sans grand projet. Et le projet consiste à recoudre ce qui a été décousu et déchiré.

M.I. : Mai 68 a-t-il été nécessaire dans l’histoire ? Je dirais que l’intérêt de 68 réside dans le fait que c’était sans doute la fin d’un monde des mœurs, celui de la famille, du mariage, de la pudeur, un monde qui avait aussi sa poésie, même s’il était très violent. Comme dans toute fin de monde, et comme toujours dans des processus révolutionnaires, il y a beaucoup de possibles qui circulent dans les pensées et les projets. Mais les possibles les plus intéressants ont été ensevelis, comme ceux qui pariaient sur la liberté personnelle, et donc sur la créativité et l’imagination, dans la sphère privée. Ce sont les possibles les moins intéressants, comme l’hypothèse du citoyen faible, qui ont réussi. Sur ce plan de la vie privée, je crois que cette révolution a été hélas bien ratée. Cela dit, on peut intervenir sur cet état de fait. Le visage qu’a pris cette modernité n’est heureusement pas inéluctable.

A.T. : Je crois qu’on doit aujourd’hui porter un jugement très positif sur 68, parce qu’il était prémonitoire. 68 était un mouvement d’anticipation, d’annonce de grands changements culturels.

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