jeudi 3 avril 2008

Écrire sur les ruines du 11 Septembre


Astrid Eliard

Le Figaro 27/03/2008

Des cendres à peine froides du World Trade Center sont sortis des diamants littéraires signés Jay McInerney, Jonathan Safran Foer...

Quelques jours après le 11 Septembre, Paul Auster marchait dans Manhattan, un carnet à la main : il prenait des notes pour le quotidien allemand Die Zeit. Peut-être croisa-t-il Jay McInerney, en reportage pour le Guardian. Au même moment, Colum McCann se demandait : « Serai-je capable de mettre des mots sur cette tragédie, serai-je capable d'écrire un roman ou un essai ? », avant de jeter, plus tard, des dizaines d'esquisses sur le sujet. Pendant ce temps, un jeune auteur de 21 ans, Nick McDonell, fonçait tête baissée dans les ruines, s'entretenait avec les témoins, consignait ses impressions. Lui savait déjà qu'il ferait un roman du 11 Septembre. Ce sera The Third Brother, en 2005.
Presque aussi vite que les sirènes des secours, des formes d'art immédiates sont apparues : dessins d'Art Spiegelman en couverture du New Yorker, poèmes, chansons, dont le fameux album The Rising de Bruce Springsteen (2002), jaillirent des cendres du World Trade Center. Les romanciers, eux, restaient silencieux. Norman Mailer pensait qu'il faudrait dix ans avant qu'un écrivain ose affronter le 11 Septembre, ose se mettre dans la peau d'un terroriste ou d'une victime piégée dans une tour en feu. « On ne s'assied pas à une table un beau matin pour écrire ce que l'on a vécu la veille : il faut dix ou vingt ans de réflexion pour raconter une histoire pareille. Je ne peux pas dire si j'écrirai un jour sur le 11 Septembre », déclarait Paul Auster en 2002.
Finalement, plus vite que prévu, ils sont quelques-uns à avoir transformé le tas de cendres de Ground Zero en oeuvre de fiction. Il y eut d'abord des romans de genre : thrillers et BD. En 2004, la romancière Reggie Nadelson publie Disturbed Earth, cinquième volume de sa série policière à succès consacré aux enquêtes d'Artie Cohen. L'intrigue est située au lendemain des attentats à New York. Comme les suivants, Red Hook et Fresh Kills.
Les années passent, l'émotion se dilue, et il est de plus en plus nécessaire de « remplir le trou des tours du 11 Septembre », selon les mots de Jonathan Safran Foer. Dans une nouvelle de Stephen King, Laissés pour compte (traduite en France chez Calmann-Lévy dans le volume Transgressions), un homme voit son appartement hanté par des objets ayant appartenu à ses collègues décédés dans le World Trade Center. Autre auteur de suspense, Nelson DeMille imagine une opération secrète pour venger les attentats dans Wild Fire (2007).
Parmi les auteurs de BD, Art Spiegelman est un des premiers à avoir dégainé ses pinceaux pour saisir le désarroi du 11 Septembre. On se souviendra longtemps de la couverture fantomatique d'In the Shadow of No Towers, publié en 2004. Un an plus tard, Paul Auster saute le pas avec Brooklyn Follies où, parmi les folies qu'il dessine, il y a celle d'un Boeing transperçant une tour. Comme Paul Auster, qui a choisi d'évoquer le New York d'avant, Rick Moody situe l'action de The Diviners (2005), un an avant le drame. Le spectre du 11 Septembre apparaît au détour d'une description : « Qui regarde vraiment les tours ? Personne n'y fait attention. Elles sont hideuses à voir. (...) Les tours ne vous donnent pas envie de composer un sonnet. »

Une violence surnaturelle


Dans les romans post-11 Septembre, les attentats contre le World Trade Center sont tantôt une allusion lointaine, une toile de fond, comme dans les deux derniers livres de Philip Roth, Everyman, (2006,) et Exit Ghost (2007), tantôt le sujet principal. C'est le cas dans Les Mutants, une nouvelle de Joyce Carol Oates, parue en 2004 et dans Extremely Loud and Incredibly Close (2005). Dans ce roman, où un enfant part à la recherche d'une serrure à déverrouiller en plein cataclysme, Jonathan Safran Foer a essayé de capter la violence surnaturelle du 11 Septembre, dans une forme poétique très libre. Dans The Good Life (2006) l'un de ses meilleurs livres, Jay McInerney, s'intéresse à l'après, aux âmes en ruines de deux couples des quartiers chics de New York.
Après les assassinats de JFK, de Martin Luther King, le 11 Septembre est devenu une fracture mythique de l'Amérique, c'est ainsi que le décrit Sherman Alexie dans Flight (2007). Et le rire ? A-t-il trouvé sa place dans Ground Zero ? Ken Kalfus, dans A Disorder Peculiar to the Country, une comédie acide et désopilante sur un couple en lambeaux, parue en 2006, prouve que deux tours qui s'écroulent, ce n'est pas forcément la fin du monde.

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