jeudi 3 avril 2008

La presse allemande sous l’emprise de l’ex-Stasi

Scandale. Deux journalistes du «Berliner Zeitung» étaient des agents du renseignement de la RDA.
De notre correspondante à Berlin Nathalie Versieux

Libération : vendredi 4 avril 2008

Un ancien informateur de la Stasi peut-il conserver son poste de journaliste au Berliner Zeitung ? L’affaire divise rédaction et lectorat de ce quotidien berlinois.
Le quotidien conservateur Die Welt révélait, en fin de semaine dernière, que le chef du service Reportages du Berliner Zeitung avait travaillé dans sa jeunesse pendant deux ans pour la police politique du régime communiste est-allemand. Pire, alors que la rédaction se réunit d’urgence lundi en assemblée générale à ce sujet, c’est le chef adjoint du service Politique qui passe aux aveux et révèle avoir, lui aussi, servi la Stasi, sans interruption de ses 18 ans à la chute du Mur… «Nous avons perdu notre crédibilité», se lamente aujourd’hui la rédaction.
Taupes. De fait, le Berliner Zeitung a dû lutter pour arriver là où il est. Avec 185 000 exemplaires vendus chaque jour, c’est l’un des quotidiens les plus respectés et les plus lus à Berlin (Est et Ouest) et dans sa région. Et ce malgré son passé d’organe de la SED, le parti communiste est-allemand. Combien d’anciennes taupes se cachent toujours au sein de la rédaction ? La direction du titre, racheté en 2005 à Gruner + Jahr (groupe Bertelsmann) par l’homme d’affaires britannique David Montgomery, est décidée à faire toute la lumière sur cet épisode embarrassant. Le rédacteur en chef Josef Depenbrock veut même confier à des chercheurs de l’Université libre de Berlin le soin de fouiller le passé des journalistes en vérifiant si leur nom figure dans les archives de la Stasi. Quelque 90 des 120 rédacteurs du Berliner Zeitung ont donné leur feu vert.
L’Université libre n’en est pas à son coup d’essai : en 2001, elle avait déjà mené une étude sur le passé des journalistes des radios et télévisions publiques est et ouest-allemandes de l’ARD. Les résultats de ce travail, publiés sous forme de livre trois ans plus tard, avaient provoqué un vif débat : 61 personnes étaient identifiées comme «sources» ouest-allemandes de la Stasi, 42 comme «sources» est-allemandes.
«Péché». Un autre projet du centre de recherche de l’Université porte sur l’espionnage systématique par le régime est-allemand du groupe de presse conservateur Axel Springer Verlag, l’éditeur du très populaire Bild Zeitung, accusé par le régime communiste d’avoir orchestré une propagande systématique contre la RDA. La Stasi entretenait plusieurs espions au sein du groupe de presse.
Etudier le passé des journalistes du Berliner Zeitung ne mettra pas complètement fin à ce nouveau scandale. La direction devra en effet décider du sort des brebis galeuses.
L’Allemagne n’en a pas fini, loin de là, avec son travail de «destasification». Le débat auquel se livrent les lecteurs sur le site web du quotidien est là pour le rappeler. Les intervenants se déchirent sur le Net, entre ceux pour qui il faut tourner la page sur un «péché de jeunesse», et ceux qui réclament «l’interdiction d’écrire» pour les anciens collaborateurs du régime.

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