jeudi 3 avril 2008

«L'écrivain voit avant les autres»

Propos recueillis par Jean-Louis Turlin
Le Figaro 27/03/2008

Don Delillo nous explique pourquoi il avait prévu, dès les années 1970, les événements tragiques du 11 Septembre, sujet de son dernier roman.

Don DELILLO. Je ne pense pas qu'un écrivain prévoie nécessairement quelque chose il le voit, tout simplement, peut-être avant que d'autres le fassent. C'est ce que les écrivains sont censés faire, de bien des façons, grandes ou petites, qu'ils s'intéressent aux petits recoins anonymes de l'existence humaine ou au panorama ambitieux de l'expérience à grande échelle.
Je tends à regrouper mes travaux autour d'un certain thème, que je décrirais ainsi : nous vivons une époque dangereuse. Ce qui dans l'actualité constitue pour certains des événements éphémères est susceptible de s'imposer au romancier comme une force menaçante pour le monde.
Plus d'une fois, dans les années 1970, avant que je ne me lance dans l'écriture de Players (1977, Les Joueurs, 1993), il m'est arrivé, en marchant dans les grandes avenues de New York, de voir des centaines de personnes attroupées sur le trottoir, cadres supérieurs et autres employés, parce que leurs firmes avaient fait l'objet de menaces à la bombe et que des immeubles de bureaux entiers avaient dû être évacués. Quelques années plus tard, résidant en Grèce, j'ai pris conscience de la présence du terrorisme sur une base quasiment quotidienne des détournements d'avions, des voitures piégées, les événements du Liban qui ont obligé bien des Libanais à émigrer à Athènes. Bien sûr, ces événements et d'autres drames, y compris les prises d'otage, ont influencé mon travail pour The Names (1982, Les Noms, 1990) et Mao II (1991, Mao II, 1992). Les romanciers s'intéressent à la nature cachée des choses. Le terro­risme est resté caché pour un temps parce que le public n'était pas prêt à le voir. Maintenant, il n'a pas le choix.
Pensez-vous que le 11 Septembre soit appelé à devenir un mythe littéraire majeur au début du XXIe siècle ?
Le 11 Septembre deviendra un thème littéraire important dans les prochaines années si un nombre suffisant de jeunes romanciers se sentent à la hauteur de l'immense réalité de l'événement. Les écrivains seront-ils prêts à s'attaquer sérieusement à cette tâche majeure où la religion, la politique et l'histoire revendiquent toutes une place dans le récit ?Le roman en tant que forme littéraire a faim d'expérience. Sa portée potentielle permet à un écrivain de placer des forces historiques énormes à l'intérieur de vies individuelles. C'est tout ce dont nous avons besoin : un homme ou une femme, seul(e) dans une pièce, quelqu'un qui trouvera un langage pour réimaginer notre monde.

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