mardi 1 avril 2008

«Qu’est-ce que l’on fait avec nos images ?»

Recueilli par BÉATRICE VALLAEYS et VALÉRIE MUNSON
Libération : samedi 5 janvier 2008
Né en 1942 dans une famille de cultivateurs, Raymond Depardon n’a que 12 ans lorsqu’il fait ses premières photos - la ferme familiale. En 1967, il cofonde l’agence Gamma et multiplie les reportages dans le monde entier. Parallèlement à son travail de photographe, il commence à tourner des films documentaires en cinéma direct. Il rejoint en 1978 l’agence Magnum et continue le grand reportage jusqu’en 1981. Il reçoit le grand prix national de la Photographie en 1991 et le césar du meilleur film documentaire, en 1995 pour Délits flagrants. La Maison européenne de la photographie lui consacre en 2000 une importante exposition : «Détours». Côté cinéma, il a entamé en 1998 Profils paysans, un travail de dix années dans le monde rural français en trois films : l’Approche, le Quotidien, la Vie moderne. En parallèle, il continue sa mission de photographier le territoire français à la chambre, qui se terminera en 2010. Il a réalisé dix-huit longs métrages et publié une quarantaine de livres.

Mai 68 va célébrer son 40e anniversaire. La célébration s’annonce fastueuse, au moins sur le plan éditorial, avec des dizaines de livres. L’événement mérite-t-il une telle commémoration ?

Je pense qu’il est intéressant de revenir sur cette année-là, quarante ans après, car 1968 est une année très intéressante - ce n’est pas la seule, certes. Quand, à la demande d’ Emmanuelle Vial, des éditions Points Seuil, j’ai jeté un œil sur mes planches contacts de1968, j’ai été très surpris : tout ce que nous vivons aujourd’hui s’est déclenché cette année-là.

Les attaques de Nicolas Sarkozy contre Mai 68 n’ont-elles pas contribué à donner à ces événements une importance qu’ils n’ont peut-être pas ?
Sarkozy a tort. Je suis fils de paysan, je ne suis pas allé au collège, ni au lycée, encore moins à l’université. Je ne me sens pas soixante-huitard, d’autant que j’avais 26 ans en 1968, j’étais presque trop vieux. Mais j’avais déjà beaucoup voyagé, j’étais plus préoccupé par la «misère du monde», quelque chose qu’aujourd’hui on appelle la globalisation, une prise de conscience un peu planétaire. Je n’étais pas très sensible au conflit de générations qui explosait contre le général de Gaulle. Mais aujourd’hui, beaucoup de choses sont des acquis de Mai 68. Cinéaste, je sais par exemple que l’avance sur recettes en est un. Ce système qui consiste à prélever sur tous les films, et notamment les grands films américains, une taxe pour alimenter une caisse qui permet de réaliser des films indépendants français - les miens notamment - est un bon système. La preuve, dans les pays qui ne l’ont pas appliquée, le cinéma n’existe plus. L’explosion de Mai 68 est restée une épée de Damoclès très efficace dans plusieurs domaines, et une défaite dans beaucoup d’autres. Je parle de défaite car, lorsqu’à mon retour d’Arabie Saoudite, en Mai 68 précisément, mon ami Gilles Caron, photographe - les meilleures photos de Mai 68 sont de lui - était complètement accablé, et répétait : «On a perdu, les ouvriers nous ont trahis, la majorité silencieuse est en réalité de droite.» Il était effondré car il a cru au grand soir. Le pauvre a disparu un an et demi après au Cambodge, assassiné par des Khmers rouges. N’empêche, cette épée de Damoclès a été, je crois, une sorte de révolution permanente…
Vous ne ressentez aucune nostalgie de Mai 68.

On a tous peur de la fuite du temps, mais le photographe le vit différemment car son travail consiste à laisser des traces avec des images. Du coup, peut-être avons-nous plus que d’autres, la tentation de la nostalgie, du «c’était mieux avant». Ce n’est pas mon cas. Et si je devais avoir de la nostalgie, elle concernerait d’abord Gamma. Une petite agence que nous avions fondée à quelques photographes en 1967. Chacun de nous quittait des agences paternalistes - Libération n’existait pas encore - où nous n’avions pas notre mot à dire : on était salariés, payés en proportion de nos tirages, on abandonnait nos droits d’auteurs, on n’existait pas. Certes, il y avait une forteresse, l’agence Magnum, mais très peu de photographes pouvaient y travailler. A Paris, à l’époque, ils étaient trois. Dont Henri Cartier-Bresson. On a eu envie de prendre nos responsabilités, d’être autoproducteur, de faire une coopérative de photographes et de travailler sur des choses qui nous concernaient, non pas seulement pour des grands magazines mais des choses très proches, l’actualité de tous les jours.
Nous voulions aussi être reconnus comme photographes auteurs, nos noms étaient crédités sur nos photos. Tous les frais étaient avancés par la coopérative, et nous partagions les recettes. Pour que l’outil de travail puisse fonctionner, nous étions interchangeables et acceptions le principe de faire des choses inintéressantes mais rentables pour la coopérative. Nous avions un dynamisme incroyable, partions partout, aussi bien sur des événements politiques que ce qu’on appelle du people, des mariages princiers, des vedettes yé-yé, des catastrophes, des premières de cinéma. Du coup, je ne me suis pas retrouvé à Nanterre fin mars. Gilles Caron y était. Il s’est senti concerné, il n’avait pas une grande différence d’âge avec les étudiants. Il a connu là-bas Cohn-Bendit, les étudiants sont venus à la Sorbonne, il était là, ensuite rue Gay- Lussac. Moi, j’étais sur les accords de paix au Vietnam, avenue Kléber, et je voyais bien que Paris allait exploser. Caron était euphorique et j’étais content pour lui. Mes photos de Mai 68 sont surtout des manifestants d’extrême droite, car à l’agence, Gilles et les autres ne se sentaient pas d’y aller. Ces manifestants allaient à l’Arc de triomphe, sur la tombe du soldat inconnu, symbole de la France combattante, dernier sanctuaire qui représentait pour eux la nation. Curieusement, ils couraient tout le temps, je crois qu’ils craignaient la castagne. Ces manifestations ont été plus nombreuses qu’on ne le croit, très violentes aussi car les manifestants d’extrême droite étaient souvent méchants et vraiment dangereux. Contrairement à leurs adversaires gauchistes, ils étaient masqués.
Après mai, Gilles Caron est parti suivre la guerre des Six Jours, ensuite on est allés ensemble au Biafra. Mais très vite, sans doute parce que j’étais déjà vieux, je voulais passer à autre chose. Je ne me voyais pas continuer à courir après l’actualité. Je me rappelle au début de l’année 1970 avoir accompagné Gilles à l’aéroport du Bourget (alors qu’on revenait du Tchad où l’on avait été faits prisonniers). Il m’a dit qu’il fallait absolument aller au Cambodge. Il avait cet esprit terrible que j’appellerais l’esprit «Belle Ferronnière». C’est le nom du café, situé en face de Paris Match, le centre de la photographie française. En 1970, si vous étiez là un peu trop longtemps, il y avait toujours un confrère - je dirais pousse-au-crime - pour vous demander pourquoi vous n’étiez pas au Cambodge… C’est à cette spirale que je voulais échapper, je pensais déjà qu’il fallait faire attention. Gilles Caron était quelqu’un de très courageux, il n’est pas revenu du Cambodge.

Revenons à vos photos de l’année 1968. Il y a des rendez-vous avec Dalida, des photos de Brigitte Bardot prises à l’aéroport, Mireille Mathieu dans son lit d’hôpital, après un grave accident…
On n’était pas des paparazzis : un paparazzi c’est très violent, la vraie planque, un téléobjectif énorme, la photo en cachette. Nous étions des photographes qui courions après les gens. On était sûrement un peu bruyants, mais les gens, politiques ou stars, nous aimaient bien car nous les faisions exister. Je me souviens que dans la cour de l’Elysée, le service d’ordre était dérisoire, on approchait à trente centimètres.
Mon souvenir est précis car c’est le début du grand-angle de qualité qui impliquait qu’on s’approche vraiment beaucoup de nos sujets. Impossible à faire aujourd’hui, pour cause de sécurité. Nous ne pensions évidemment jamais à assassiner qui que ce soit, obsédés, dans ce terrible désordre, à trouver l’angle qui ferait la bonne photo, un instantané, quelques secondes, c’est une école fantastique. Eviter la pose et, même quand on fait une pose, la transformer en instantané, faire bouger le petit rendez-vous. Dalida, Sylvie Vartan, un prix littéraire… soudain ils se retournent et tac on a la photo.
Pensez-vous que l’utilisation politique des photos est une histoire ancienne ou récente ?

Chaque fois que j’ai pris une photo, je me suis demandé ce que signifiait ma présence ici ou là, les raisons de mon travail, à qui il était destiné, tout en étant obsédé à l’idée d’être bon. Les ethnologues et surtout Lévy-Strauss m’ont beaucoup aidé à me poser la question de la place qu’on occupe. Le fait qu’un prix ait été attribué à la photo d’une exécution à la baïonnette de collaborateurs pendant la guerre indo-pakistanaise (1) ne peut pas laisser indifférent. Certains photographes (notamment Marc Riboud) ont cessé de prendre ces photos. Mais si l’on est honnête, on doit reconnaître que, malgré une part de doute, on fait la photo, pris dans une sorte d’euphorie. La plupart du temps, on est quand même parfaitement conscient de ce qu’on fait : le Biafra, par exemple, en guerre de 1967 à 1970, personne n’en parlait car il n’y avait pas de photos. Nous avons fait des reportages photographiques, et d’un coup le monde s’est ému. D’autant qu’on a pu constater que les Français étaient derrière ce conflit.

Comment choisit-on la place d’où l’on photograhie ?

On se pose aujourd’hui des questions sur le droit à l’image qu’on ne se posait pas avant. Cela dit, en Mai 68, à Paris, on se demandait toujours si on se mettait derrière les CRS. Je crois qu’on avait tendance à se mettre plutôt du côté des manifestants. On se disait que les lâches se mettaient derrière les CRS, mais c’est évidemment plus compliqué. La position d’un photographe n’est jamais neutre, mais elle n’a pas nécessairement le sens qu’on lui prête. Tout est affaire de situations. Par exemple, une guerre, civile ou non, ne se fait pas au téléobjectif, on est donc avec les gens, très près d’eux. De là à nous imputer une connivence avec ceux qu’on photographie est souvent injuste. Tenez par exemple, en septembre 1968, me voilà à couvrir la campagne du candidat Nixon pour la présidentielle américaine. Tout jeune photographe dans ma petite agence Gamma à Paris, je suis autorisé avec trois autres photographes à m’approcher tout près du candidat. Mes photos, je les ai faites à 30 cm, et pourtant Nixon n’était, et n’est toujours pas, ma tasse de thé. N’empêche et malheureusement, l’ambiguïté demeure… Cela dit, pas une photo que j’ai prise en 1968 n’a été faite au téléobjectif. J’aime être très proche des gens que je photographie. Je préfère le grand-angle, symbole pour moi d’un certain cinéma, celui d’Orson Welles - c’est aussi la preuve qu’on participe à l’événement. De même, c’est grâce au général de Gaulle qu’on a, plus vite que nos confrères étrangers, travailler en «ambiance» : de Gaulle souffrait de la cataracte il avait interdit le flash.

Vous dites de De Gaulle qu’il était photogénique.

Il était grand, et c’est un avantage car les grands nous permettent de faire des photos à la soviétique, on les fait décoller sur le ciel. Il aimait bien les photographes. Je me rappelle un cafouillage monumental lors d’une manifestation à Rouen où le général venait célébrer Jeanne d’Arc. On avait tous raté la photo. Un photographe de l’agence UPI a hurlé au général qu’il fallait recommencer. Il a été bâillonné par le service de sécurité, mais de Gaulle l’avait entendu et il a recommencé toute la scène, embrassé une jeune Jeanne d’Arc, refait tout le chemin. Bref, il avait un vrai sens de la photo. En revanche, il se méfiait du cinéma, il interdisait le son. DansJoli Mai, Chris Marker a réussi à enregistrer une phrase, sa phrase. On savait que, quand il serrait la main de quelqu’un, de Gaulle disait «content de vous voir». Dans Joli Mai, Chris Marker a mis en boucle ce «content de vous voir». Giscard non plus n’aimait pas s’entendre parler, comme on le fait dans le vie de tous les jours. S’il a bloqué le film que j’ai fait de sa campagne en 1974, c’est notamment parce qu’il s’est entendu faire des fautes de syntaxes, lui VGE, polytechnicien. Idem pour Mitterrand : ces gens-là redoutent le bavardage pour rien que nous faisons tous quand nous rencontrons quelqu’un.

Et Sarkozy, il est gêné par sa très petite taille…
Pas seulement. Alors que ses prédécesseurs évitaient de parler, lui veut toujours dire quelque chose, alors qu’il ferait bien d’être un peu plus busterkeanien, ou chaplinien. Je crois que son état-major commence à y songer. Cécilia était très différente. Je les ai accompagnés lors d’un voyage quand il était ministre. Apparemment, ils n’avaient pas lu la même fiche me concernant. Lui avait lu la fiche «Depardon, photographe gauchiste», elle «Depardon bon photographe», elle était très aimable avec moi, alors que lui se méfiait.

A Gamma, vous faites très peu de Quartier latin en 68. En revanche, vous êtes à Chicago pour la grande manifestation contre le guerre au Vietnam, vous montrez les luttes raciales avec les Blacks Panthers, vous êtes ensuite à Mexico lors des JO, qui ont vu les athlètes noirs lever le poing…

J’ai raté Mai 68 à Paris, mais quand je suis arrivé à Chicago j’ai vu quelque chose d’énorme. Beaucoup de jeunes Américains partaient pour la guerre du Vietnam, les étudiants dénonçaient déjà le piège où s’étaient enlisés les militaires américains ; Martin Luther King avait été assassiné début avril, ce qui avait enflammé plusieurs quartiers noirs du pays. Parallèlement, je file en Arabie Saoudite quand le pétrole se met à grimper à Abou Dhabi. C’était la folie. On était tellement préoccupés par les grèves, les manifestations, de Gaulle, les étudiants, les CRS, qu’on ne voyait pas ce qui se passait ailleurs. Dans le golfe Persique, les bédouins deviennent des magnats de pétrole. Les Rolls-Royce sont partout. Les kalachnikovs chromées d’argent. Tout est nouveau, les gens sont devenus très riches. J’ai droit à une montre en or (d’origine italienne, sans grande valeur). Quand en août 1968, j’arrive aux JO de Mexico, j’assiste à un événement inoubliable : au moment de la remise de médailles et de l’hymne américain, Tommie Smith, vainqueur du 200 mètres, lève le poing ganté de noir, une chaussure dans l’autre main. Seul le photographe de Life avait été informé de cette manifestation. Il a pris la plus belle photo. Ce geste a été considéré comme une terrible offense à l’égard des JO. Et les journalistes sportifs étaient fous de rage. Comme si le sport n’était pas politique. Mais je l’avoue : j’ignorais alors que les Noirs ne pouvaient pas entrer dans certains restaurants…

La manifestation à Chicago contre la guerre du Vietnam vous a beaucoup impressionné.
C’était le 27 août. La Convention démocrate allait désigner son candidat. En l’occurrence, ce fut le triomphe d’Humphrey. On est aux petits soins pour nous, photographes, ça ne m’était jamais arrivé. C’est la fête avec des ballons, des mecs déguisés en Indiens. Mais dehors, j’assiste à une autre fête : dans un grand parc, des étudiants hippies jouent de la musique, allongés sur les pelouses, très souriants, mêlés à des Blacks Panthers. Les premiers manifestent contre la guerre au Vietnam, les autres viennent dénoncer la ségrégation dont sont victimes les Noirs aux Etats-Unis. Et soudain arrivent les fédéraux, rien à voir avec nos CRS. Eux sont des militaires qui avancent comme des légions romaines, armés d’un M 16 chargé. Les étudiants ne ressemblent pas non plus aux Français, ici, ils sont nettement plus Peace and Love. Je pense qu’il doit y avoir pas mal de marijuana en circulation. Tout est cependant sympathiquement mélangé, étudiants pacifistes et militants contre les discriminations raciales. J’avais très vite appris à repérer l’étudiant du militant : le salut n’était pas le même. Le V de la victoire très connu des Peace and Love, et le poing levé des militants, blancs ou noirs, des Blacks Panthers. Ces deux signes n’existaient pas à Paris. Voilà pourquoi, l’année 1968 fut une grande année, au sens où elle a fait avancer les choses. En 1969, je me suis retrouvé à Prague, ça explosait déjà, l’Afrique aussi, l’Amérique du Sud, et dans le même temps, les matières premières commençaient à s’enflammer et l’on mesurait soudain que les pays pauvres qui en avaient n’étaient pas si pauvres que ça. Tout est là de ce que nous vivons aujourd’hui, même si nous nous plaignons du pouvoir d’achat… Je crois que c’est la première année mondiale.

Votre carrière a aussi été cinématographique.
J’ai continué d’être photographe et j’ai fait des films documentaires, pour mon plaisir. Le cinéaste Jean Rouch m’impressionnait beaucoup : il avait, l’air de rien, une facilité à trouver sa place avec les Africains. Jean Rouch est sans doute celui qui a le mieux répondu à cette question : qu’est-ce qu’on fait avec nos images ? Sans être paternaliste, on doit se demander comment associer des gens dont l’expression française est souvent une belle leçon de récupérer notre langue, en y mettant non seulement de la poésie, mais beaucoup de politique. Les Africains par exemple ont inventé l’expression «Papa m’a dit» pour évoquer le fils de Mitterrand. Tout est dit là, en forme de joie, pour parler de la douleur bien sûr.

Votre talent consiste à être transparent.
Je fais partie de cette génération de photographes qui jouent aux cons. Dans les années 60, il y avait deux styles de photo-journalistes : les prétentieux, voitures décapotables, la Belle Ferronnière, grands hôtels… et des gens qui jouaient aux cons. Effectivement, c’est un métier de passer d’une princesse à un fait divers ou à un réfugié du Rwanda. Comment les écoute-t-on ? Et pourquoi se confient-ils à vous plus facilement ? Simplement parce qu’on ne doit pas tricher, on sort le masque (le numéro de carte de presse) et on s’oblige à une extrême simplicité. Je photographie des gens sans leur accord, ils sont un peu en colère, alors je souris (je ne parle pas leur langue), un vrai sourire, pas un sourire de circonstances. Je crois que les gens sentent qu’on ne les juge pas, à condition aussi d’adopter quelques règles : un mode vestimentaire discret, ne pas trop bouger, écouter beaucoup. Etre un porte-manteau ou un lampadaire, ça s’apprend, mais je crois que j’ai reçu cette modestie de mes parents. C’est vrai qu’on me donne le bon Dieu sans confession. La preuve : les «héros» de mes deux premiers films, étaient deux énarques. Perdriel et Giscard m’ont donné carte blanche. Mais quand ils ont vu les films, ils sont tombés de haut. Je crois qu’ils se disaient un truc du style : il avait l’air bien gentil ce Depardon tellement silencieux. Et pourtant, je ne suis pas manichéen, j’ai n’ai pas eu envie de faire un film méchant contre le Matin de Paris, ni contre le candidat Giscard d’Estaing, même s’il n’est pas ma tasse de thé. Je ne suis pas un traître, au pire je me vois comme un Douanier Rousseau. J’aime faire des films politiques qui n’en ont pas l’air. Les soixante-huitards me l’ont assez reproché : ils me disaient que je n’avais pas de message, que je n’étais pas engagé. Moi, je trouvais que les films militants étaient dépassés. Je tenais à garder une certaine distance. La bonne distance.

(1) Photographie prise le 27 août 1979, en Iran et qui reçut le prix Pulitzer quelques mois plus tard.

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