mercredi 30 avril 2008

Sous les pavés... celui de "Pilote"


LE MONDE 28.04.08
"Mâtin, quel journal !" Le slogan historique de Pilote pourrait pour le coup devenir "quels journaux !" Pour son numéro spécial consacré à Mai 68, le magazine de bande dessinée français, fondé fin 1959 (publié par Dargaud depuis 1960), dont la parution depuis 2003 est "irrégulomadaire", propose deux couvertures. Une de Cabu où son personnage fétiche, Le Grand Duduche, en tenue baba cool colorée, tient dans ses bras une ravissante baba coolette - vision un peu anachronique, en 1968, l'étudiant dans la rue était plus sagement vêtu. Une de Jean Giraud où l'on voit le lieutenant Blueberry derrière un coffre hérissé de flèches, haches et couteaux. Son ennemi est-il indien, CRS ou étudiant ?
Ce spécial Mai 68, devenu "le journal qui s'amuse à lancer des pavés", va et vient, en 162 pages, pour 7,90 euros et avec soixante dessinateurs et auteurs, entre souvenirs des anciens et jeunes pousses. Ces derniers s'inspirent de personnages de l'hebdomadaire ou évoquent les événements dont le quarantième anniversaire est célébré en livres, émissions de télévision, disques...
On retrouve Gotlib et sa "Rubrique-à-brac", les mondes imaginaires traversés par le personnage de Philémon, de Fred, le Concombre masqué de Nikita Mandryka, un témoignage du scénariste Pierre Christin. Mais aussi l'évocation du pop-art façon Guy Peellaert par Christophe Blain, d'Achille Talon par Moski et Veys, un désopilant De Gaulle en mai par Jean-Yves Ferri avec le fils du général tenté par la révolution... Sont aussi conviés les dessinateurs que Pilote révéla dans les années post-68 : René Pétillon, Philippe Druillet, Gérard Lauzier, Martin Veyron...
En mai 1968, Pilote est dirigé par René Goscinny. Le journal d'Astérix et Obélix, concurrent des hebdomadaires Spirou, Tintin et Vaillant/Pif, va toutefois faire sa propre révolution après les événements. Au sein de la rédaction, il y aurait eu un peu de tirage, entre pro et anti-68 - on paraît, on ne paraît pas, grève ou pas grève. Le numéro spécial ne l'évoque qu'au détour d'une phrase ou d'une case de BD.
Le Pilote plus "adulte" se fera par la suite. Et deviendra un vivier de dissidents. Gotlib, Claire Bretécher et Mandryka fondent L'Echo des savanes en 1972, un mensuel où l'humour dévastateur côtoie le sexe. Giraud (qui signe, selon ses oeuvres, Gir ou Moebius), Druillet et Jean-Pierre Dionnet partent dans l'aventure Métal hurlant en 1975, orienté science-fiction et aventures. La même année, Gotlib, encore lui, crée Fluide glacial.
Les numéros de Pilote durant Mai 68 sont assez recherchés - il n'est pas en kiosques à Paris. Tandis que l'on se bat et débat pour la fin de l'autoritarisme et pour la liberté sexuelle, que l'université découvre le monde ouvrier, les séries à suivre dans Pilote restent des classiques pour adolescents. Astérix aux Jeux olympiques, par Uderzo et Goscinny, La Piste des Sioux, une aventure de Blueberry par Gir et Charlier, ou un épisode de Tanguy et Laverdure par Jijé et Charlier. Seul Le Naufragé du "A" de Fred, a un ton plus rêveur.
En 1974, passé sous la direction de Guy Vidal, Pilote devient mensuel. Arrêté en 1989, il revit sous forme de numéros spéciaux depuis 2003.

Sylvain Siclier
Article paru dans l'édition du 29.04.08.

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