samedi 10 mai 2008

En Mai 1968, que faisait la police ?

Enquête

LE MONDE
05.05.08 15h15


AFP/JACQUES MARIE
Des policiers, membres des CRS, chargent et matraquent des manifestants rue de Rivoli,
lors d'une manifestation le 6 mai 1968 à Paris.
A chacun son Mai 68, sa commémoration, ses souvenirs. Ceux de la police sont assez rarement exposés au public. Les voici consignés par la Préfecture de police de Paris (PP) qui a puisé dans ses archives pour ressusciter les événements dans un numéro exceptionnel de son magazine Liaisons (La Documentation française, 110 pages, 9,5 euros), tout juste sorti de l'imprimerie lundi 5 mai.
De ce côté-ci, les images noir et blanc disent les heures d'attente et d'affrontement, les matraques, les boucliers ronds et les lanceurs de gaz lacrymogènes qui font aujourd'hui figures de tromblons. L'ambiance y est.
Dix photographes de la PP étaient déployés dans les rues enfumées de Paris. Des extraits de rapport de police côtoient les consignes écrites du préfet Grimaud : pas de violence. Les témoignages sont tragiques et drôles à la fois. Après le 3 mai 1968, et la décision de faire évacuer la Sorbonne, la PP a trié les souvenirs de ses policiers "jetés dans l'arène". Francis Charles, gardien de la paix au 4e district, 23 ans en mai 1968 : "J'ai reçu à mon domicile quatre télégrammes différents m'informant à chaque fois d'un nouvel horaire de prise de fonctions. Arrivés au service, on nous a fait monter dans une goélette en direction de Nanterre. En cours de route, on nous a brusquement demandé de nous diriger vers la Sorbonne (...). Nous n'avions même pas nos casques." Christian Brunet, brigadier au commissariat du 4e arrondissement, 35 ans : "Boulevard Saint-Michel (...) un pavé a traversé le pare-brise. Je l'ai pris en pleine tête (...). Je suis resté douze jours dans le coma." Jean-Pierre Pidoux, gardien de la paix, 30 ans : "C'était en début d'après-midi (...), je tenais un point-école en tenue normale. Tout d'un coup, un car vient me chercher : "Il ne faut plus laisser de gars tout seuls dehors. - C'est la guerre ou quoi ?", ai-je répondu." On y parle de fourgonnettes banalisées, les "beurre et fromage", de "chapeau de paille du Creusot" (les casques), de grenades de verre et de slogans antiflics.
Directeur adjoint des renseignements généraux, Jean Caille accuse les médias d'avoir jeté de "l'essence" sur le feu. "Ils ont réussi à effrayer tout le pays, à part nous, aux RG", fanfaronne-t-il, en citant une photo montrant des "katangais", un groupuscule d'étudiants armés sur le toit de la Sorbonne. "Parmi eux, il y avait un de mes inspecteurs infiltrés ! (...). C'étaient des petits voyous de Montreuil qui étaient là pour se faire valoir." Philippe Massoni, futur conseiller de Jacques Chirac, décrit l'infiltration des organisations révolutionnaires. "Avec des noms d'emprunt et de très grands risques."
Ni les pompiers, à l'épreuve du lancer de pavés, ni les administratifs ne sont oubliés. Gisèle Penin, secrétaire à la direction des services techniques, 30 ans : "Nous étions quelques administratifs réquisitionnés pour assurer le salaire des gardiens de la paix. Tout était bloqué. Donc, pour éviter qu'ils ne fassent grève aussi, ils recevaient leur paye en liquide, soit 300 francs." La PP recense ses blessés, 1 912 entre mai et juin, et dresse un bilan notarial des événements : 298 véhicules mis hors d'état, 96 arbres abattus, 9 commissariats de police saccagés, 10 000 m2 de chaussée dépavés.

Isabelle Mandraud
Article paru dans l'édition du 06.05.08.

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