samedi 3 mai 2008

La parole de l’enfant se fait - enfin ! - entendre

Le développement de la psychologie de l'enfant, encouragé par le mouvement de Mai 68, a permis à la société de mieux répondre à ses besoins spécifiques

Aujourd’hui, là où le bébé naît, là où l’enfant grandit, apprend, joue, il peut revendiquer son statut de personne à part entière. Un statut acquis en Mai 68 ? Non, bien sûr, et d’ailleurs l’affirmation « l’enfant est une personne » ne figure pas parmi les slogans scandés à l’époque. Et quand l’enfant fut nommé alors, c’était pour défendre l’idée qu’il ne devait pas entraver la liberté de sa mère. Penser qu’avant 68, l’enfant n’était considéré que comme simple tube digestif, dépourvu de raison et de sentiments, serait faux et injuste.
Ce serait nier tous ceux qui, dans l’intimité des familles ou dans la société, via ses institutions, œuvraient au service de son développement et de son éducation. De même, les leçons de morale que délivrait l’école de Jules Ferry, décriées en 1968 (et remises au goût du jour quarante ans après) sont une preuve que l’on s’adressait déjà à l’élève comme à une personne capable de penser de manière responsable et raisonnable.
Cependant, l’esprit qui souffle sur le monde de l’enfance depuis 68 a été enrichi en France, mais aussi à l’échelle mondiale comme le montre la Convention internationale des droits de l’enfant signée et ratifiée par 191 pays en 1989. La psychologie fut, dans les années 1970, empruntée par tous ceux qui s’attachaient à la cause des enfants.
Françoise Dolto, reprenant à son compte les concepts de la psychanalyse, s’est alors fait le chef de file d’un combat qui consistait à faire admettre « qu’un enfant, dès les premiers instants de la vie, devait être considéré comme un sujet désirant, pensant et parlant ». Il n’est alors de livre d’éducation, d’émission de radio, d’initiative pédagogique ou éducative, qui ne fasse droit à ce que l’enfant pense, sent, ressent, croit, dit, poussé par ses mystérieuses pulsions et sa mémoire inconsciente.

Trouver l’attitude juste, un exercice d’équilibriste

Dès lors, plus rien n’apparaît simple. Pour les parents qui ne savent plus où mettre le curseur entre l’empathie intuitive et l’autorité, mais aussi pour les professionnels des crèches, les instituteurs, les enseignants, voire les catéchistes, qui craignent de ne pas respecter la liberté des enfants. L’élève renâcle à comprendre l’addition ? Ne serait-il pas pris dans un conflit conjugal qui montre que l’addition papa + maman ne fonctionne plus ? Le bébé pleure plus fort que d’habitude ? N’aurait-il pas « senti » que sa maman se souvient avec tristesse d’un bébé perdu avant sa naissance ?
Trouver l’attitude juste, éviter les interprétations faciles et les excès qui en découlent devient, après 68, un exercice d’équilibriste pour les adultes en relation avec les enfants. Certains vont s’y atteler avec courage, au risque là encore de tâtonnements et d’initiatives plus ou moins heureuses. On pense à certaines maternités pilotes, aux crèches parentales qui se sont alors multipliées, aux ludothèques et autres espaces récréatifs où la bonne attitude éducative se confondait avec « tout accepter de l’enfant pour tout comprendre ».
Mais c’est encore au sein de l’école que la psychologie – qui commençait seulement à se vulgariser – fut poussée le plus loin. L’autogestion par les élèves de l’espace et du temps scolaires, l’abolition du système de notation au profit de l’auto-évaluation, la libre parole, l’élaboration de nouveaux programmes aux accents ludiques, les activités d’expression corporelle et artistique, s’imposèrent partout où l’enfant « apprenait ». Tout, en effet, était bon à mettre en œuvre pour que l’élève « ne soit pas traumatisé » et qu’il ne souffre pas de contraintes inutiles. La mixité, rendue obligatoire en 1975, contribua à croire à l’émergence de l’école plaisir.
Au-delà des excès de telles expériences, la prise en compte et le respect de l’identité de l’enfant va peu à peu s’imposer comme un devoir et une nécessité. Désormais, plus personne ne peut se dispenser d’entendre et d’écouter sa parole : à la crèche, à l’école, à l’hôpital, devant le juge, etc.
Agnès AUSCHITZA (La Croix 02/05/2008)

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