samedi 3 mai 2008

Les années Paul VI


De 1963 à 1978, le successeur de Jean XXIII parachève et met en oeuvre Vatican II, alors que la société et l'Église traversent de profonds bouleversements



Qu’est-ce qui caractérise ce pontificat ?il a été dominé par la mise en œuvre des orientations du concile Vatican II (1962-1965), au moment même où les sociétés occidentales traversent de profonds bouleversements. L’historien Jean-Marie Mayeur distingue trois périodes dans ce pontificat : « la fin du Concile et les réformes qui en découlent » (1963-1968), un « temps de repli » face à la montée de la contestation et à la crise de l’Église (1968-1972), enfin une « période mystique », de 1972 à la mort de Paul VI en 1978, où le pape apparaît en retrait.

L’encyclique Humanæ vitæqui, en juillet 1968, réaffirme le refus par l’Église catholique de la contraception, marque une profonde rupture dans le pontificat. À compter de cette date, l’incompréhension ira croissant entre Paul VI et une grande part de l’opinion publique, y compris catholique, en Occident. Commencé dans l’enthousiasme du Concile, son pontificat s’achèvera dans une certaine indifférence.


De quelle manière Paul VI poursuit-il le travail de Vatican II ?


C’est une question difficile à interpréter, car elle implique de mettre en parallèle les orientations de Paul VI et celles de Jean XXIII. Pour le conclave qui l’a élu, le cardinal Giovanni Battista Montini était « le candidat le plus naturel pour interpréter une plate-forme programmatique moyenne », selon les termes du vaticaniste italien Giancarlo Zizola. Il fut élu pour conduire le Concile dans un sens de conciliation et d’unité.

Le style et la méthode de Paul VI marqueront les textes conciliaires : sa volonté que les textes soient adoptés à une large majorité conduira à y ajouter des passages soucieux de satisfaire la minorité conservatrice. Ces strates, parfois très divergentes, rendent complexe l’interprétation du Concile et ont fait surgir d’importants débats dès sa clôture.


Comment a-t-il concrètement mis en œuvre le Concile ?

Il revient à Paul VI d’avoir poursuivi le déroulement du Concile. Sous son pontificat se tiendront les deuxième, troisième et quatrième sessions qui travailleront, puis voteront l’ensemble des textes. Du point de vue de leur mise en œuvre concrète par ce pape, on peut retenir entre autres la réforme de la curie, le renforcement de la collégialité dans le gouvernement de l’Église, la réforme de la liturgie et l’inscription de l’œcuménisme dans des actes.

En 1967, la réforme de la curie romaine introduit une limite d’âge, donne un caractère temporaire aux charges et interdit le cumul des fonctions. Au sein du Sacré Collège, les cardinaux de plus de 80 ans ne pourront plus participer à l’élection du pape, et le nombre des électeurs est plafonné à 120. La curie s’internationalise, mais voit aussi ses effectifs augmenter (1 322 fonctionnaires en 1961, 3 146 en 1978). La réforme pérennise un certain nombre de structures créées à l’occasion de Vatican II : Conseil pontifical pour les laïcs, commission Justice et Paix, secrétariats pour les non-chrétiens, pour les non-croyants, pour l’unité des chrétiens.

Du point de vue du gouvernement de l’Église universelle, Paul VI introduit une proportion de collégialité. En 1967 se tient la première assemblée d’une nouvelle institution permanente, le Synode des évêques, appelé à se réunir tous les trois ans. Le pape en marque toutefois les limites en cantonnant le Synode dans un rôle consultatif. Paul VI est par ailleurs le pape de la réforme liturgique souhaitée par le Concile.

À compter de 1970, le nouveau Missel entre en vigueur, autorisant notamment la célébration en langue vernaculaire. Sur le plan œcuménique, Paul VI a des gestes très forts ; avec l’orthodoxie, on se souvient de l’accolade sans précédent avec le patriarche de Constantinople Athénagoras Ier à Jérusalem (1964) et de la levée réciproque, la veille de la clôture du Concile, des anathèmes de 1054.


En quoi ces années sont-elles des années de crise ?


La crise touchant l’Église catholique de plein fouet sous le pontificat de Paul VI a des causes internes et externes. L’Église participe aux profondes mutations socioculturelles des années 1960-1970 : la crise de l’autorité et la valorisation de l’égalité questionnent l’institution hiérarchique ; la sécularisation accélérée interroge la place des prêtres et de l’Église dans la société ; les sciences humaines viennent transformer la compréhension du monde et questionner la théologie ; la décolonisation remet en cause des manières d’être missionnaire…


Au sein de l’Église, débats et contestations surgissent. En France, les ordinations de prêtres, qui ont commencé à chuter (de 900 à 500 ordinations par an) dès les années 1950, tombent à une centaine par an. Partout surgissent des groupes de réflexion, mobilisant de nombreux clercs et demandant la fin de l’obligation du célibat. La demande sera particulièrement forte aux Pays-Bas, lors du concile pastoral de 1970.


Sur le versant politique et social, la doctrine sociale de l’Église et ses institutions sont contestées de l’intérieur. À mesure que se déploient les mouvements de gauche et les utopies révolutionnaires, elles sont de plus en plus soupçonnées de faire alliance avec les forces conservatrices. Ce sera particulièrement le cas en Amérique latine, où les communautés ecclésiales de base (CEB) et les théologies de la libération, alors soutenues par l’épiscopat – notamment lors de la réunion du Celam à Medellin (Colombie) en 1968 –, mettent en œuvre de nouvelles formes communautaires et un engagement social soucieux d’honorer l’expérience des pauvres.

La crise vient aussi de l’aile la plus conservatrice de l’Église qui, sous la houlette de Mgr Marcel Lefebvre, refuse l’enseignement de Vatican II ; ce conflit ira crescendo durant tout le pontificat de Paul VI.


Comment Paul VI y a-t-il répondu ?


Homme profondément spirituel, personnalité inquiète, intellectuel conscient de la complexité des enjeux, mais aussi fin diplomate et homme de conciliation, Paul VI fera le choix d’une position médiane. Il n’accédera ni à la levée du célibat obligatoire pour les prêtres, ni à une pleine collégialité avec les évêques, ni à l’assouplissement de la position de l’Église sur la contraception. Mais il ne transigera pas non plus sur l’application du Concile face à l’intégrisme lefebvriste.

Les historiens ont pu dire que son pontificat aura été « le plus complexe du XXe siècle ». A posteriori, la manière dont Paul VI a répondu à la crise fait l’objet d’évaluations opposées, certains regrettant qu’il n’ait pas été un nouveau Jean XXIII qui aurait prolongé l’aggiornamento et enterré définitivement le visage de l’Église de la Contre-Réforme, et d’autres lui reprochant de ne pas avoir été un Jean-Paul II avant l’heure, qui aurait anticipé dès 1970 le recentrage de l’Église catholique.

Elodie MAUROT (La Croix 02/05/2008)

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