samedi 3 mai 2008

Michel de Certeau : « Prendre la parole »

Dans le numéro d'"Études" daté juin-juillet 1968, le jésuite Michel de Certeau, historien et anthropologue (1925-1986), analysait l’enjeu des « événements » pour la société et ses institutions – dont l’Église. En voici les premières lignes

« En mai dernier, on a pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789. La place forte qui a été occupée, c’est un savoir détenu par les dispensateurs de la culture et destiné à maintenir l’intégration ou l’enfermement des travailleurs étudiants et ouvriers dans un système qui leur fixe un fonctionnement. De la prise de la Bastille à la prise de la Sorbonne, entre ces deux symboles, une différence essentielle caractérise l’événement du 13 mai 1968 : aujourd’hui, c’est la parole prisonnière qui a été libérée.
Ainsi s’affirme, farouche, irrépressible, un droit nouveau, devenu identique au droit d’être un homme, et non plus un client voué à la consommation ou un instrument utile à l’organisation anonyme d’une société. Il commandait, par exemple, les réactions d’assemblées toujours promptes à le défendre dès qu’il semblait menacé au cours d’un débat : “Ici, tout le monde a le droit de parler.” Mais ce droit était seulement reconnu à qui parlait en son propre nom, car l’assemblée refusait d’entendre qui s’identifiait à une fonction ou qui intervenait au titre d’un groupe caché derrière les dires d’un de ses membres : parler, ce n’est pas être le “speaker” d’une force de pression, d’une vérité “neutre” et objective, ou d’une conviction venue d’ailleurs. »
Extrait de La prise de parole, de Michel de Certeau (Points-Seuil).
La Croix 02/05/2008

Aucun commentaire: