dimanche 4 mai 2008

Revisiter Mai 68

Edito du Monde

LE MONDE 03.05.08
Parce qu'ils ont marqué la jeunesse d'une génération qui approche maintenant de l'âge de la retraite, les "événements" de mai 1968 occupent une place particulière dans l'imaginaire français. Les enfants du baby-boom d'après la seconde guerre mondiale ont des traits communs d'un pays à l'autre, surtout en Occident, où ils ont connu la même croissance économique, bénéficié du même allongement de la scolarité, lu les mêmes auteurs et écouté les mêmes musiques. Mais c'est en France que l'éclosion de cette génération a pris la forme d'un choc frontal avec le pouvoir, ébranlé au point que le président de la République, Charles de Gaulle, a failli se retirer, avant de reprendre le contrôle de la situation.
Pour "introuvable" qu'elle ait été, selon la formule de Raymond Aron, la révolution de Mai n'en a pas moins bouleversé la société française. Partie des étudiants parisiens avant de gagner une grande partie de la classe ouvrière - surtout la plus jeune, fraîchement issue de l'exode rural -, elle a bénéficié d'une large sympathie. Puis ce sentiment s'est dissipé comme il était apparu, laissant place à une crainte qui a envoyé à l'Assemblée nationale l'une des majorités de droite les plus massives du siècle.
Mai 68 n'a pas mis à bas le régime institué en 1958 ni réalisé l'utopie libertaire dont rêvaient ceux qui y participaient. Il a secoué, en revanche, les habitudes de pensée et de vie dans lesquelles le pays était engoncé depuis la Libération. Politiquement, il a annoncé la fin du gaullisme et du communisme, même si l'un et l'autre ont perduré jusque dans les années 1980. Socialement, il a mis à l'ordre du jour la recherche du temps libre et de l'épanouissement personnel. Moralement, il a renversé l'ordre familial et patriarcal traditionnel. Idéologiquement, il a mis en question les valeurs et les tabous hérités du nationalisme.
Des évolutions similaires se sont produites ailleurs, sans pavés et sans lyrisme. Le caractère extraordinaire des journées de Mai ne justifie aucune gloriole, ni aucune condescendance pour les générations suivantes. Mais on ne peut revisiter cette période sans s'émouvoir de ce moment de grâce et de confiance dans l'avenir. Les Français, pendant un mois, ont trouvé la vie belle et ont aimé la vivre ensemble.

Article paru dans l'édition du 04.05.08.

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