vendredi 16 mai 2008

Réformes : entre libéralisme et clientélisme

Le Figaro 08/05/2008 |



Par David Spector, économiste au CNRS et à l'École d'économie de Paris.

Nicolas Sarkozy a fait campagne sur une idée simple : réhabiliter le travail, certes, mais surtout mettre en œuvre les réformes nécessaires pour relancer la croissance, quitte à bousculer les résistances qui avaient paralysé ses prédécesseurs. Pour apprécier le chemin accompli au terme de la première année, tout dépend de l'angle adopté. Quoi de commun, en effet, entre le Nicolas Sarkozy qui réforme les régimes spéciaux de retraite sans céder aux grévistes, et celui qui, malgré la stagnation du pouvoir d'achat, crée une pittoresque taxe sur le poisson, après un mouvement d'humeur des pêcheurs ? Entre le président qui fait évoluer le contrat de travail pour moderniser les relations sociales, et celui qui hésite devant les chauffeurs de taxis ? Entre la révision bienvenue des dépenses publiques, au risque de heurter certaines administrations, et le refus de faire porter le moindre effort sur les médecins pour maîtriser les dépenses de santé ? Entre l'audace du traité simplifié qui a relancé l'Europe, et la subordination de notre politique européenne aux lobbies agricoles ?

Nicolas Sarkozy a la chance de succéder à Jacques Chirac, car après l'immobilisme érigé en doctrine, la comparaison ne peut être que flatteuse. Mais, puisqu'«à vaincre sans péril on triomphe sans gloire», il faut évaluer la première année de sa présidence par comparaison avec un passé plus lointain. On trouve alors, à gauche comme à droite, des gouvernements qui n'ont pas hésité à surmonter des résistances pour mener des réformes utiles. Pendant son premier mandat, François Mitterrand, avec Pierre Bérégovoy, a brisé le monopole des agents de change pour libéraliser les marchés financiers. Il a aussi accordé à nos partenaires européens des concessions importantes sur la politique agricole commune pour faire progresser le marché unique, sans céder devant des manifestations parfois violentes. Plus tard, Édouard Balladur a entamé la nécessaire réforme des retraites malgré une forte résistance syndicale.

Par comparaison, quels intérêts particuliers Nicolas Sarkozy a-t-il bravés pour faire prévaloir l'intérêt général ? Dans l'affaire des régimes spéciaux de retraite ou de la réforme du contrat de travail, l'opposition était limitée, car la politique menée avait le soutien de l'opinion et les syndicats ont dans l'ensemble adopté une attitude modérée. Pour le reste, Nicolas Sarkozy s'inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs : il met en œuvre avec détermination les réformes susceptibles de déplaire à des catégories proches de la Gauche (syndicats de salariés, fonction publique) mais se montre plus timoré quant il s'agit de s'en prendre aux rentes des catégories proches de la Droite (taxis, médecins, agriculteurs, notaires). De même, François Mitterrand a largement libéralisé la France, mais il a toujours reculé devant la réforme de l'État, et notamment de l'Éducation Nationale, pour ne pas heurter sa base électorale.

Puisque Nicolas Sarkozy annonce vouloir mener de front toutes les réformes importantes, la vraie rupture consisterait à utiliser les quatre ans qui viennent, dépourvus d'élection majeure, pour remettre en cause toutes les rentes de situation, même lorsqu'elles bénéficient à ses électeurs. La réforme des lois Galland et Raffarin sur la distribution, votées au début de la présidence Chirac, constitue un indice encourageant, car ces lois ont eu un effet désastreux sur le pouvoir d'achat et n'ont profité qu'à la grande distribution et au petit commerce. Mais il faut aller plus loin. Au début de la cinquième République, le Général de Gaulle n'a pas hésité à passer outre l'opposition du patronat majoritairement protectionniste pour appliquer les mesures libre-échangistes du plan Pinay-Rueff, et l'effet bénéfique de la concurrence européenne a rapidement fait reconnaître à l'opinion le bien-fondé de ce choix. De la même manière, la rupture avec le clientélisme habituel des gouvernements de droite (qui a son équivalent à gauche) s'avérerait électoralement payante à terme parce qu'elle augmenterait la croissance et réduirait les déficits publics. Il ne s'agit donc pas de choisir entre la vertu et l'intérêt politique, mais plutôt les deux à la fois. Il est des dilemmes plus difficiles.

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