samedi 20 septembre 2008

Bonnie and Clyde, meurtriers en couple


Anne Fulda
Le Figaro 18/08/2008



Crédits photo : AFP

Fin des années 1920, début des années 1930, l'Amérique en crise suit avec passion l'aventure criminelle de ce jeune couple uni par l'amour.

Une petite serveuse. Une blonde dont les boucles ont des reflets roux. Il y en a mille comme elle. Mille dont le joli minois et la fraîcheur font tourner la tête des hommes. Bonnie Parker n'a rien d'exceptionnel. Ni grande ni petite. Mince, presque frêle. Elle aime la mode et le rouge. Le rouge qui claque. Le rouge passion. C'est une Américaine moyenne. Un peu frivole. Un peu fleur bleue. Presque ordinaire. S'il n'y avait ce regard. Cette détermination dans le regard que l'on remarque sur toutes les photos de l'époque. Avec quelque chose de sauvage aussi, de presque animal au fond des yeux. Issue d'une famille modeste, Bonnie Parker est une jeune fille cultivée. À la high school de Cement City, elle était même une excellente élève. Elle écrit des poèmes. Mais au Marco's Cafe de Dallas, où elle travaille, elle s'ennuie à mourir. Sert des hommes dont le regard s'appesantit parfois sur elle. Et pas uniquement pour commander une bière. Elle les ignore. Elle les méprise. Du haut de son mètre soixante-cinq, Bonnie n'a pas envie de petites histoires médiocres. D'étreintes furtives derrière le comptoir. Elle rêve d'aventure. Se voit en héroïne romantique et, pour remplir ces journées qui s'étirent en longueur sous l'écrasant soleil texan, elle tue le temps en dévorant des revues à l'eau de rose. Non, pas un regard pour ces hommes qui traînent au bar. Pas son genre. Et puis les loosers, elle a déjà donné.

La jeune fille s'est mariée à 16 ans avec Roy Thornton qu'elle avait rencontré un an plus tôt. Elle a cru que c'était lui. Elle a cru que c'était l'amour avec un grand « A » et la midinette qu'elle était s'est même fait tatouer sur la cuisse deux cœurs enlacés avec leurs noms. Bonnie et Roy. Elle aurait dû attendre un peu avant de se marquer la peau à vie. Un an à peine après leur mariage, Roy Thornton se retrouve en prison pour meurtre. Mauvaise pioche. Les rêves de Bonnie en prennent un coup. Elle rumine sa peine. N'est pas loin de déprimer. Mais garde tout de même cette flamme au fond de l'œil. Cette soif d'absolu. Elle va pouvoir l'étancher lorsque son chemin va croiser celui de Clyde Barrow. À West Dallas, où Bonnie est venue rendre visite à une amie. On est en 1930. L'Amérique vient d'être secouée par le crash boursier de 1929, le fameux mardi noir. Les entreprises font faillite par milliers, les banques ferment et les particuliers trinquent. Près d'un quart de la population se retrouve au chômage et les files d'attente à la soupe populaire s'allongent.Clyde Champion Barrow, en fait Clyde Chestnut Barrow, n'a pas vraiment le profil du prince charmant. Pas très grand, brun, ce troisième rejeton d'une famille de huit enfants a cependant un je-ne-sais-quoi qui plaît aux femmes. Est-ce ce petit air effronté, cette insolence dans l'œil sombre ? Est-ce cette mèche rebelle ? Ou cette mine de mauvais garçon qui s'assume ? En tout cas, cela se sent : lui qui n'a jamais été doué pour les études sait ce qu'est la pauvreté. Le regard condescendant des autres. Son père a dû abandonner sa ferme à Telico, au Texas, pour ouvrir une station-service à Dallas. Clyde Barrow l'aide rarement. C'est un jeune hâbleur, tendance glandeur. Un joueur qui aime miser gros. Et se procurer des frissons en volant. Il commence par de menus larcins avec son frère Buck, vole des dindes qu'il revend après. Puis des voitures.

Bonnie et Clyde. Quand ces deux-là se croisent, ils ne savent pas qu'ils vont devenir un couple de légende. Les Robin des Bois de la Grande Crise. Les Roméo et Juliette de la Dépression. Amants magnifiques et maléfiques. Ils ont respectivement 20 et 19 ans. Rien à perdre. Envie de vivre. Quitte à devenir des criminels. Romantiques certes, liés par une folle passion, un amour violent et puissant, mais criminels tout de même. Ce qui les relie ? Leur égal souhait d'exaltation. D'enivrement. Ce qui les rend populaires ? L'impression qu'ont certains Américains, touchés par la crise, d'être vengés par eux. De prendre leur revanche sur les banquiers qui les spolient. L'aspect romanesque de leur folle cavalcade n'est pas pour déplaire à une Amérique qui s'enfonce dans la morosité. Comme des Gavroche tout étonnés par leur propre audace, les deux tourtereaux adorent se prendre en photo, l'air conquérant, tendrement enlacés sur le capot d'une voiture. C'est ainsi qu'une photo de Bonnie, cigare au bec, a fait le tour des États-Unis. On l'a cataloguée en excentrique, audacieuse égérie alors qu'en fait elle fumait des Lucky Strike.Le début de la « collaboration » de Bonnie et Clyde interrompue par plusieurs arrestations de Clyde commence en 1932. Rapidement, ils sèment la terreur dans plusieurs États américains : Texas, Oklahoma, Missouri, Louisiane, Nouveau-Mexique… Et vont crescendo dans les délits commis. Commerces dévalisés, attaques à main armée, braquage de stations-service, de banques et, pour finir, meurtres. Douze au total. Douze personnes, en majorité des policiers, tués froidement, sans état d'âme. Le premier de la liste, en avril 1932, est le propriétaire d'une bijouterie, John Bucher. Bien que Clyde affirme qu'il était dans la voiture au moment de la fusillade, il est désormais fiché et recherché par la police de même que son compère Raymond Hamilton, un ami d'enfance, pour meurtre. Ensuite, c'est l'enchaînement, avec deux autres policiers, assassinés à Atoka, alors qu'ils étaient sur la trace des fuyards.Chez ce couple de criminels, qui est en réalité un gang, le gang Barrow dont fait partie Buck, le frère de Clyde, tué en 1933, sa femme Blanche, et W.D. Jones , chacun sa spécialité. Bonnie, la lettrée du couple, couche sur le papier leurs aventures et va même jusqu'à envoyer son poème autobiographique, The Story of Bonnie and Clyde, à plusieurs journaux qui le publient. La belle est un brin narcissique. Clyde, lui, est un cynique volontiers moqueur qui semble vouloir compenser son impuissance sexuelle par un pouvoir qu'il entend exercer sur les autres. Preuve de son extraordinaire culot : quand il est arrêté par la police en 1929 avec William Turner et Frank Hardy à l'hôtel Roosevelt de Waco, au Texas, sanglotant dans un torrent de larmes, il dit au chef de la police, Hollis Barron, qu'il a été kidnappé par ses deux compères. On le laisse filer. Quelques mois plus tard, un policier arrête le couple pour excès de vitesse. Clyde le contraint à monter dans leur voiture. La batterie de la voiture tombe en panne. Clyde oblige alors le représentant de la loi à en voler une puis à réparer la voiture avant de le laisser sur le bord de la route.

Mais Clyde est aussi fou amoureux de sa belle. Quand Bonnie est blessée à une jambe, au cours d'un accident dans une Ford volée, au Texas l'un des membres du gang tirera sur une voisine venue leur porter secours , il tient à ce qu'elle soit examinée par un médecin. À plusieurs reprises, pour lui plaire, il tente aussi de rentrer dans le rang. De s'acheter une respectabilité. Mais il est trop tard. Les deux en ont trop fait. Ils sont devenus des ennemis publics recherchés dans tout le pays. Rien ne peut arrêter l'engrenage. Dès que Bonnie et Clyde se trouvent un petit repaire tranquille, ils sont obligés de le quitter. Ils doivent ainsi s'échapper en catastrophe du Red Crown Tourist Camp, à Platte City, dans le Missouri, où ils avaient loué un gentil petit deux-pièces avec garage. Puis sont retrouvés à nouveau par la police dans un parc à Dexter, dans l'Iowa. L'équipée tourne mal. En 1933, le frère de Clyde, Marvin, dit « Buck », meurt de ses blessures dans un hôpital de l'Iowa, tandis que sa femme Blanche est incarcérée au Missouri State Penitentiary. Les mois qui suivent vont être les plus difficiles. Bonny et Clyde se retrouvent tous les deux lâchés par W.D. Jones qui, arrêté, assure aux policiers qu'il a collaboré avec le couple maudit sous la contrainte. La jambe de Bonnie, mal soignée, la fait souffrir. En novembre 1933, les amoureux échappent encore à une embuscade montée par le shérif Smoot. Leur voiture est criblée de balles qui atteignent leurs jambes. Mais ils arrivent encore à s'enfuir. Entre janvier et mars, rejoints par Raymond Hamilton, Bonnie et Clyde attaquent plusieurs banques. Le 1 er avril 1934, ils tuent deux jeunes policiers qui pensaient qu'ils avaient besoin d'aide, à Grapevine, au Texas. Cinq jours plus tard, près de Commerce, dans l'Oklahoma, ils exécutent un autre représentant de l'ordre. C'est la dernière salve. La fuite devient désespérée. La police harcèle leurs proches. Et puis, le 23 mai 1934, près de leur cachette à Black Lake, en Louisiane, ils tombent dans un piège monté par la police. Et meurent enlacés, criblés de balles. Une légende est née. Plus de trente ans plus tard, en 1968, un an après la sortie du fameux film d'Arthur Penn, avec Faye Dunaway et Warren Beatty, Serge Gainsbourg, inspiré par la romance-errance de ces deux parias passionnés, écrit dans sa chanson Bonnie and Clyde : « De toute façon/Ils ne pouvaient plus s'en sortir/La seule solution/C'était mourir/Mais plus d'un les a suivis en enfer quand sont morts Barrow et Bonnie Parker ».


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