samedi 20 septembre 2008

John Dillinger, un gangster

Bertrand de Saint Vincent
Le Figaro 29/07/2008

John Dillinger, surnommé par les journaux «Dan tête brûlée», enchaînera les hold-up et réussira à s'échapper deux fois de prison. En 1934, après des mois de cavale, il est abattu par les agents du FBI. Il survit sur grand écran où, après bien d'autres, Johnny Depp l'incarnera en 2009 dans Public Enemies.

ENNEMIS PUBLICS (2/18) - Braqueur de banques, auteur d'une spectaculaire évasion, le hors-la-loi défraya la chronique dans l'Amérique des années 1930. Le FBI en fit sa bête noire.

Un faux air d'Humphrey Bogart ; sa vie, c'est du cinéma. Toutes les vies sont du cinéma. Il suffit de trouver un metteur en scène adéquat. Le plus prestigieux des siens s'appelait John Edgar Hoover. C'était le chef du FBI. Un type paranoïaque qui voulait sauver l'Amérique de la pègre et parvint à ses fins avec un sens aigu de la manipulation.
Le XXe siècle a trois ans lorsque John Dillinger voit le jour à Oak Hill, quartier bourgeois d'Indianapolis. Trois ans plus tard, sa mère succombe à une attaque d'apoplexie ; son père, épicier, est d'un genre rigide et plutôt strict. Il exige qu'on prononce son nom à l'allemande. Avec un «g» dur.
Le manque de tendresse fait parfois les «bad guys». À 12 ans, Johnnie est membre d'un gang, «les douze crapules». Il dérobe du charbon dans les wagons de la Pennsylviana Railroad. Mauvais genre : voleur, coureur, brutal. Le 6 septembre 1924, il frappe un épicier pour lui arracher sa recette. Arrêté, il écope d'une peine de dix à vingt ans de prison et est interné à la maison de redressement de Pindleton.
Terrible fin de chevauchée pour un gamin qui s'imaginait dans la peau de Jesse James. Enterré vivant à 21 ans parmi 2 340 détenus. L'école du vice. Il apprend vite et bien, se lie avec les plus dangereux criminels : un dénommé Harry Pierpont, beau garçon aux yeux très bleus qui passe pour irrécupérable ; Homer Van Meter, géant blême qui adore jouer la comédie.
Transféré à leur suite au pénitencier d'État de Michigan City, il s'y forge une réputation de dur à cuire plutôt serviable. Apprenant qu'il allait être libéré sur parole, Pierpont lui demande d'organiser de l'extérieur son évasion en lui faisant passer des armes.
Le 22 mai 1933, Dillinger quitte sa prison avec un billet de 5 dollars en poche. Son demi-frère l'attend ; il gagne le village de Mooresville où sa belle-mère vient de mourir. Les habitants sont émus. Ils ignorent que deux semaines plus tard, allié à une bande d'amateurs, les «casquettes blanches», Dillinger va dévaliser sa première banque.
10 600 dollars d'économie. Une sacrée somme en ces temps de dépression. L'Amérique va mal, tout le monde rêve de braquer des banques. Un couple de gangsters tient la vedette : Clyde Barrow et Bonnie Parker. Les flics leur courent après, le FBI ne compte que 266 agents spéciaux, triés sur le volet, à la réputation de boy-scouts.
Dillinger aligne les casses, avec une maladresse éhontée et un calibre 32. À la Commercial Bank de Dalesville, il inaugure la figure qui va le rendre célèbre : le saut de comptoir. Elle attire sur lui la sympathie de la presse et la rage du chef de la police de l'Indiana, le capitaine Matt Leach. Cet officier sec et osseux, au caractère morose, va en faire sa bête noire.
Dillinger devient un professionnel du crime. Vaguement admiratifs, les journaux le surnomment «Dan tête brûlée». Quand il entre dans une banque, son canotier sur la tête, avec deux ou trois complices, c'est pour en vider les coffres : «hold up», annonce-t-il. Les gens lèvent les bras. En trois mois, il amasse de quoi organiser l'évasion de ses complices.
La nuit du 12 septembre, il balance trois revolvers enveloppés dans du papier journal au-dessus de l'enceinte de la prison de Michigan City. Des gardiens les découvrent. Il dissimule alors de nouvelles armes dans une caisse de fournitures. Mais la veille de la livraison, deux inspecteurs de police viennent le cueillir.
Retour à la case départ : la prison de Dayton. Le capitaine Leach est son premier visiteur. Deux jours plus tard, grâce aux armes fournies, Pierpont et quelques-uns de ses lieutenants se font la belle.
Dillinger écrit à son père : «Si on avait été moins sévère avec moi quand j'ai commis ma première faute, rien de tout ça ne serait arrivé.» Allez savoir. Le 12 octobre, Pierpont et deux de ses complices organisent son évasion. Se faisant passer pour des policiers, ils s'introduisent dans la prison du comté de Lima où Dillinger a été transféré. Ils sortent leurs revolvers, tirent, laissant un cadavre derrière eux.
«Dan tête brûlée» retrouve sa fiancée, une Indienne aux traits lourds, Billie Frechette. La police organise une chasse à l'homme. Leach réunit les journalistes pour leur faire part de sa stratégie : diviser le gang en faisant passer Dillinger pour son chef alors que Pierpont en est le véritable cerveau. Le plan échoue, mais Dillinger y gagne en renommée. Le gang s'installe à Chicago. Vie bourgeoise entrecoupée de raids éclairs. Après un nouveau hold-up à la Central National Bank de Greencastle, Johnnie téléphone à Leach pour le provoquer.
Quelques jours plus tard, planquant devant chez son médecin, les policiers repèrent sa Terraplane ; ils le poursuivent, mais il parvient à s'échapper. La baraka. Le Chicago Tribune prétend qu'il conduisait d'une main en tirant sur ses poursuivants de l'autre.
L'équipée sauvage s'accélère. À l'American Bank And Trust Company de Racine, les mitraillettes entrent en action. Devant la First National Bank de Chicago, Dillinger abat son premier policier. Quelques jours plus tard, réfugiés à Tucson, Arizona, les membres du gang sont arrêtés, avec une étonnante simplicité, par la police locale.
Les photographes affluent. La justice de tous les États où ils ont sévi réclame les prisonniers. L'Indiana emporte le gros lot. À son arrivée, un cliché montre Dillinger, posant au côté du procureur Bob Estill, joyeux comme s'il revenait de la chasse. Hoover est furieux.
Interné à la prison de Lake County, Dillinger s'en évade le 3 mars au matin, juste après le petit déjeuner. Il enfonce un canon de revolver dans le ventre de son geôlier et, après avoir placé une dizaine de gardiens sous clef, franchit tranquillement la porte de la prison. Son revolver était en bois. Mais en franchissant une frontière d'État au volant d'une voiture volée, il viole la loi fédérale. Le FBI peut prendre les choses en main.
Hoover lâche ses limiers. Dans la nouvelle bande de Dillinger, on retrouve l'un de ses premiers compagnons de cellule, Homer Van Meter. Le gang enchaîne les braquages : Sioux Falls, dans le Dakota du Sud ; Mason City, dans l'Iowa. Méthode traditionnelle : coups de feu, prise d'otages qui, placés sur le marchepied d'une Buick ou d'une Packard, couvrent la fuite des malfaiteurs. Le sang coule. Dillinger est blessé.
Le 30 mars, deux agents du FBI frappent à la porte du domicile d'un certain Carl Hellman. Démasqué, Dillinger arrose l'escalier d'une rafale de mitraillette. Blessé à la jambe, il parvient à s'enfuir. Chicago est de moins en moins sûr. Le gang parcourt 600 kilomètres pour se réfugier dans une auberge perdue du nord du Wisconsin, La Petite Bohême. Le FBI les repère. Alors que la nuit tombe, munis de gilets pare-balles, une quinzaine d'agents encerclent l'auberge.
L'attaque tourne au fiasco. Repérés par des aboiements, les fédéraux ouvrent le feu trop tôt. Un voyageur de commerce est gravement blessé, un ouvrier tué. Au milieu de la fusillade, les malfaiteurs parviennent à s'enfuir par un sentier délaissé derrière la maison.
L'affaire, montée en épingle, tourne le FBI en ridicule et affole le pays. Le nom de Dillinger sème la terreur. Hoover pousse la Chambre des représentants à renforcer la législation contre le crime. Le pouvoir de ses agents est accru. Roosevelt s'adresse à la nation pour lui demander de collaborer avec la police.
Les gangsters sont aux abois. Cinq États du Middle-West offrent chacun une récompense de 1 000 dollars pour la capture de Dillinger. Goguenard, il écrit à Henry Ford pour le féliciter «Ta bagnole est magnifique.» et lui propose un slogan publicitaire adéquat : «Avec une Ford, vous sèmerez n'importe quelle bagnole.» Mais le nœud coulant se resserre. Billie Frechette en prison, la plupart de ses anciens complices morts ou arrêtés, Dillinger sent venir la fin. Il songe à se retirer au Mexique, charge un chirurgien plastique de lui refaire le visage.
Le 30 juin, il attaque la Merchant National Bank de South Bend, dans l'Indiana. Des passants tirent, un policier est tué, Van Meten est touché à la tête. Dillinger loue une chambre dans un immeuble du nord de Chicago avec sa nouvelle maîtresse, une serveuse de 26 ans, Polly Hamilton. Donné par sa logeuse, il est localisé par le FBI. Le dimanche 22 juillet, il est abattu en sortant du cinéma.
Titre du film : L'Ennemi public. Ça ne s'invente pas.

À lire : «Dillinger», de Jon Toland, «Livre de poche».

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