lundi 28 février 2011

Les non-dits des Chinois


Le livre du jour

LEMONDE | 26.02.11 | 13h31 • Mis à jour le 26.02.11 | 13h31

En Chine, quand un tremblement de terre ravage une région et fait des centaines de morts, on entend les mouches voler dans les rédactions des médias officiels. La règle est de ne rien faire et d'attendre le feu vert de l'agence officielle avant de parler de l'événement...

Anne Soëtemondt a fait partie de ces nombreux "experts étrangers" qui sont recrutés par les organes de propagande chinois depuis que la Chine a décidé, en 2008, de faire entendre sa voix dans le concert des médias internationaux. Elle a travaillé pendant un an à Pékin pour le programme de Radio Chine internationale (RCI) à destination des francophones, en Europe et en Afrique. Son rôle consistait à relire et à mettre en bon français les informations rédigées par ses collègues chinois.

Pendant cette période, la jeune journaliste a tenu un blog, prenant soin de ne pas révéler l'identité de ses confrères lorsqu'elle les citait, pour des raisons évidentes de sécurité. De retour en France, elle raconte son expérience chinoise dans un livre plein d'humour et d'anecdotes. Elle décrit la très faible productivité, ces journées à attendre le texte à relire. L'opacité la plus totale règne sur les salaires. Ceux-ci restent confortables pour des expatriés, compte tenu du niveau de vie en Chine.

Surtout, Anne Soëtemondt décrit de l'intérieur le fonctionnement de la censure. On ne dit pas "censurer" d'ailleurs, on dit "harmoniser". L'une des règles de base du journalisme officiel est, en effet, de ne pas remettre en cause le concept d'harmonie sociale, cher au confucianisme et au communisme chinois. Bien sûr, il ne faut pas parler de certains sujets, comme le massacre de la place Tiananmen. Il faut accepter comme une évidence que Taïwan fait partie de la Chine, que le dalaï-lama est un leader politique et non un dignitaire religieux. Voilà pour les lignes rouges les plus évidentes. Mais il existe d'autres règles non écrites, comme éviter les nouvelles négatives, les faits divers sanglants, les conflits sociaux.

A Radio Chine internationale, on n'aime pas le direct. Toutes les émissions sont enregistrées, pour être réécoutées avant diffusion. Anne Soëtemondt ne cache pas que cette collaboration à une entreprise de propagande, qui vise à développer un "soft power" chinois, lui a posé des cas de conscience. Elle a résisté à sa façon, en contournant le système, en offrant le visage d'une autre Chine, plus libre et moins convenue, grâce à une émission portant sur des sujets de société.

Le masque tombe

Les Chinois ne sont pas dupes. De temps à autre, le masque tombe et les mots sortent. Les gens ne croient pas une seconde aux mensonges de la propagande, explique l'auteure. Simplement, ils n'en ont pas grand-chose à faire, parce l'important pour eux, disent-ils, "ce n'est pas que la presse devienne plus libre, mais que le niveau de vie augmente".

Ce discrédit a encouragé d'autres formes d'expression en Chine, comme les blogs, très nombreux. Un jour, un collègue chinois glissera à Anne Soëtomondt qu'il était place Tiananmen le 4juin 1989. Il n'en dira pas plus, l'échange s'arrêtera là.



J'ai travaillé pour la propagande chinoise

Anne Soëtemondt

Editions du Moment,

254 p., 17,95 €

Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 27.02.11

Aucun commentaire: